La compétitivité du Luxembourg serait affectée par une hausse des cotisations pour pérenniser le régime général des pensions, dit le patronat. L’affirmation est contredite par la Chambre des salariés (CSL), relevant qu’au Luxembourg, les cotisations sociales patronales sont parmi les plus faibles d’Europe. L’institution en propose une hausse minime pour mettre le système à l’abri pendant les 40 prochaines années.

(Graphique : CSL)
Le mercredi 12 février, la ministre de la Sécurité sociale, Martine Deprez, présentait la seconde phase de consultation sur la réforme des pensions du privé, qu’elle veut paradoxalement mûrir longuement tout en la menant tambour battant. Le lendemain, jeudi 13 février, la Chambre des salariés (CSL) rétorquait en diffusant auprès des médias deux études : l’une s’attaque à l’argument patronal de la compétitivité, l’autre propose une solution à long terme pour les pensions sans léser les bénéficiaires.
Avec un montant moyen des pensions qui s’élève à 3.570 euros par mois pour une carrière complète au Luxembourg et à 2.643 euros en moyenne si l’on inclut les carrières mixtes, les retraites luxembourgeoises sont généreuses. À titre de comparaison, en Allemagne, en France et en Belgique, la moyenne des pensions s’élève à un peu plus de 1.600 euros par mois.
Le régime luxembourgeois coûte-t-il pour autant davantage en termes de cotisations patronales ? Résolument non, répond la CSL dans un bulletin « Eco News » du mois de février consacré au sujet. Avec des cotisations sociales patronales représentant 15 % du salaire, le Luxembourg affiche l’un des taux les plus bas parmi 29 pays européens, incluant l’UE, la Suisse et l’Islande (voir graphique). « Une hausse modérée de 1 point de pourcentage par partie pour financer les pensions ne remettrait pas en cause cet avantage : le Luxembourg resterait le sixième pays au taux global de cotisation le plus bas », avance la CSL. Elle ne détaille cependant pas quelle part les pensions représentent dans ce total, qui inclue également l’assurance-maladie ou l’assurance-chômage.
De la même façon, l’institution régie par les syndicats préconise le relèvement, sinon la suppression, du plafond cotisable, actuellement l’un des moins élevés dans l’OCDE, puisqu’il représente 1,94 fois le salaire moyen. Autrement dit, les sommes dépassant ce niveau ne sont pas prises en compte pour les cotisations des pensions. De nombreux pays ne disposent d’aucun plafond cotisable, note la CSL. Le relever ou l’abroger va automatiquement générer des recettes supplémentaires. Ces surplus permettraient de maintenir le niveau actuel des prestations et pourraient même l’améliorer, soutient la chambre professionnelle.
Impôt divisé par deux

(Photo : Unsplash)
En dernier lieu, la CSL s’attaque à l’argument fiscal, alors que le patronat plaide, toujours au nom de la compétitivité, en faveur d’une baisse des impôts des entreprises, une revendication largement entendue par le gouvernement de Luc Frieden. Pour les représentant·es des salarié·es, une hausse de la fiscalité des entreprises pourrait cependant contribuer à sécuriser le régime des pensions à long terme. La CSL constate que le taux de l’impôt sur le revenu des collectivités a suivi une baisse constante au cours des 35 dernières années, passant de 34 % en 1990 à 16 % aujourd’hui, soit une diminution de plus de la moitié. Et là encore, les entreprises luxembourgeoises ne sont pas plus mal loties que leurs proches voisines : l’imposition sur les bénéfices est de 15,8 % en Allemagne, mais de 25 % en France et en Belgique.
La hausse des cotisations et de la fiscalité des entreprises ainsi que le déplafonnement sont trois leviers que le patronat exclut radicalement de mettre en œuvre. « Le relèvement des cotisations ne peut être actionné, sous peine de menacer l’attractivité des talents, la compétitivité-coût des entreprises, le pouvoir d’achat des salariés, et d’aggraver davantage les finances de l’État », écrit l’UEL dans une prise de position publiée en juillet dernier. Quant à la suppression du plafond cotisable, le patronat estime que son impact sur les hauts salaires réduirait l’attrait des talents pour le grand-duché. Il élude toutefois la question de l’impact de pensions au rabais sur cette même attractivité.
Sur la base des données qu’elle met en avant, la CSL qualifie ces logiques de « blocage idéologique » : « Parmi les arguments récurrents contre une hausse des recettes, figure le concept de la compétitivité. Or, une analyse plus approfondie montre que ces arguments sont souvent exagérés, voire infondés. En réalité, le refus systématique d’augmenter les recettes est avant tout un refus de participer au financement du vieillissement démographique au Luxembourg. »
Dans un second « Eco News » intitulé « Pérenniser sans précariser : l’alternative existe », la CSL propose de relever les cotisations : « Une augmentation modérée du taux de cotisation de 8 % à 9 % par partie (salarié·es, patron·nes et État) combinée au déplafonnement de la base cotisable, constituerait un levier efficace pour augmenter les recettes du système de pension. » L’institution propose en outre « l’externalisation des frais annexes de la Caisse nationale d’assurance pension (CNAP) vers le budget de l’État », afin de « limiter l’utilisation des cotisations au seul financement des pensions ». En clair, cela signifierait que les frais de fonctionnement de la CNAP (dont les salaires de ses agent·es) ou les transferts au Fonds pour l’emploi ne seraient plus financés par les cotisations des salarié·es du privé.
Un choix de société
Ces mesures suffiraient à assurer la viabilité du régime sur 40 ans, avance la CSL, tout en rappelant sa défiance vis-à-vis des projections à long terme. Celles-ci sont brandies par le patronat depuis une cinquantaine d’années pour alerter sur un effondrement imminent du système des pensions, alors qu’il n’a fait que prospérer depuis. « Contrairement aux discours alarmistes suggérant la nécessité de mesures drastiques telles qu’une hausse de l’âge de départ à la retraite, une suppression de la prise en compte de certaines périodes ou une baisse des pensions (actuelles ou futures), ces choix ne sont ni mathématiquement justifiés ni socialement acceptables », blâme la CSL.
S’il n’est pas toujours aisé de faire la part des choses dans la bataille des chiffres que se livrent depuis des mois syndicats d’un côté et gouvernement et patronat de l’autre, une certitude se dégage néanmoins : aucune menace ne pèse dans l’immédiat sur le régime. « Il ne fait aucun doute que le système de pension luxembourgeois est actuellement en excellente santé. Avec des réserves financières avoisinant les 30 milliards d’euros, le système affiche une solidité incontestable », raille la CSL, en se référant aux excellents résultats enregistrés en 2024 par le Fonds de compensation, qui a vu ses réserves gonfler de près de trois milliards d’euros.
Pourtant, affirme l’UEL, 2025 sera la dernière année où les recettes en cotisations vont encore assurer les dépenses du système de pension. « Dès 2026, de l’argent devrait être prélevé du Fonds de Compensation », poursuit l’organisation patronale dans un appel au gouvernement à relancer l’économie, publié en janvier. L’UEL se garde bien de citer les sources de ses projections, alors qu’elle avait jusqu’à présent martelé que le régime sera en déséquilibre en 2027, conformément aux prévisions de l’Inspection générale de sa sécurité sociale. Mais l’organisation patronale veut réformer au plus vite le régime des pensions du privé : « 2024 aura été l’année des réflexions, que ce soit en matière d’assurance-maladie ou de pensions. 2025 devra être celle où les mesures devront être prises. » Cette précipitation à vouloir éviter un gouffre pour l’instant totalement imaginaire est également le leitmotiv de Martine Deprez, dont l’agenda se conjugue donc parfaitement avec celui du patronat.
En 2022, les dépenses du pays dans l’ensemble des pensions, celles du privé et du public confondues, représentaient 9,2 % du PIB. D’après un scénario établi par le Statec, cette part passerait à 10 % du PIB en 2050 et à 12,8 % en 2070. La courbe serait donc loin d’être exponentielle. Au-delà des chiffres, cela pose une interrogation bien plus fondamentale sur le sort que l’on entend réserver à nos aîné·es, à l’issue d’une vie de labeur : la précarisation par des pensions dévalorisées ou une vie décente assurée par des retraites équitables ? La réponse à cette question dépend en réalité du modèle de société que l’on désire.