Harcèlement moral : Quand le travail devient un enfer

La reconnaissance du harcèlement moral au travail et sa prévention par les entreprises progressent lentement, constate Improof, la plateforme de réflexion de la Chambre des salariés (CSL). Ce phénomène est en hausse partout, mais il touche particulièrement le Luxembourg, où une personne sur six se déclare victime de mobbing dans son entreprise.

Le harcèlement moral au travail se définit notamment par « toute conduite répétée ou systématique portant atteinte à la dignité ou à l’intégrité psychique ou physique d’une personne ». (Photo : Gert Altmann/Pixabay)

C’est encore une marche du podium dont le Luxembourg se serait bien passé : en 2018, le pays « se plaçait en deuxième position au nombre de cas déclarés de harcèlement moral au travail en Europe, juste derrière la France », relève un article publié début janvier par Improof, le think tank de la Chambre des salariés (CSL). Le problème est mondial, « le nombre de cas ne cesse d’augmenter », et il « touche la majorité des entreprises, entraînant des conséquences graves à la fois pour les dirigeants et les salariés », alerte l’autrice de l’étude, Amanda Araujo, psychologue spécialisée dans les relations du travail et intervenante en entreprise pour une société de conseil.

Pour mesurer ce phénomène, notamment caractérisé par sa subjectivité, les expert·es se basent sur les déclarations des salarié·es. En 2023, 16 % des personnes interrogées au Luxembourg se déclaraient victimes de harcèlement moral au travail, selon les chiffres compilés par la CSL dans l’édition 2023 du « Quality of Work Index ». Sur les dix dernières années, le pic a été atteint en 2016, avec 18,1 % de salarié·es se disant victimes de harcèlement, tandis que le plus bas a été enregistré en 2017, à 12,4 % (voir graphique). Quoi qu’il en soit, le nombre de victimes présumées se situe bon an mal an autour de 15 %. « Cette stagnation indique que, bien que le problème soit reconnu, les mesures prises n’ont pas encore permis de renverser durablement la tendance », regrette Improof.

Pour affiner la compréhension du problème, la CSL détermine des comportements types et analyse leur évolution dans le temps. Le plus couramment cité par les salarié·es est « l’attribution d’activités inutiles par le supérieur hiérarchique », qui transforme l’emploi en « bullshit job ». La critique du travail, le fait d’être ignoré ou humilié publiquement sont d’autres situations rencontrées par les victimes (voir graphique). Là encore, ces indicateurs se maintiennent dans des fourchettes relativement proches d’une année à l’autre, sans régresser. Le nombre croissant de personnes ayant le sentiment d’être ignorées et la hausse du nombre de conflits retiennent néanmoins l’attention de l’autrice de l’analyse : elle y voit le reflet d’une « légère détérioration des relations interpersonnelles au sein des entreprises luxembourgeoises ».

(Quality of Work Index 2023/CSL)

La diversité culturelle comme facteur aggravant

Les pratiques managériales toxiques et dévalorisantes qui se développent dans le monde professionnel expliquent la hausse commune du phénomène dans tous les pays. Les causes de la fâcheuse position du Luxembourg dans les classements internationaux ne font pas l’objet d’un développement particulier dans l’article d’Improof, mais Amanda Araujo esquisse néanmoins une explication partielle, tenant à une singularité nationale : la diversité culturelle du pays et de ses salarié·es. Si elle constitue un atout, elle peut aussi générer des incompréhensions, ne serait-ce que sur la manière d’échanger entre collègues. « En raison de la nature multiculturelle du pays, les relations professionnelles peuvent être influencées par des différences culturelles qui, si elles ne sont pas bien gérées, peuvent entraîner des malentendus et des conflits », écrit la psychologue.

Derrière la froideur des chiffres, le harcèlement moral au travail se traduit pour ses victimes par des pratiques portant atteinte à leur dignité ou à leur intégrité psychique ou physique, selon une définition qui fait consensus. Les conséquences peuvent être tragiques, voire, dans les situations extrêmes, mener les victimes au suicide. Qualifier précisément le harcèlement moral demeure néanmoins difficile, et toutes les définitions font appel à « des notions subjectives », souligne la CSL dans une note publiée sur le sujet en juillet 2023. Contrairement aux « conflits qui sont souvent visibles et bruyants, le harcèlement moral est plus insidieux et persistant, rendant son identification plus complexe », renchérit l’étude d’Improof. S’il est important de différencier les deux, le conflit peut néanmoins dégénérer en harcèlement moral, quand le différend se déplace d’un terrain purement professionnel vers un espace plus personnel.

Pour lutter contre ce phénomène délétère, dont le coût économique reste par ailleurs inconnu, le Luxembourg s’est doté d’une première loi sur le harcèlement moral en mars 2023. Jusque-là, la question était régie par une simple convention, signée en 2009, entre l’OGBL et le LCGB pour les syndicats et l’UEL pour le patronat. Ce texte, explique Amanda Araujo, met « l’accent sur les conséquences des actions, plutôt que sur les intentions des auteurs. Ainsi, toute conduite répétée ou systématique portant atteinte à la dignité ou à l’intégrité psychique ou physique d’une personne peut être considérée comme du harcèlement, même en l’absence d’intention de nuire ». Un bon point, selon les syndicats. En revanche, la charge de la preuve « incombe encore principalement à la victime », note Improof, estimant que « cela constitue un obstacle de taille, car le harcèlement moral est souvent difficile à prouver, d’autant plus qu’il peut s’étendre sur une longue période avec des manifestations subtiles ». En cas de poursuites devant les tribunaux, l’appréciation d’une notion aussi subjective que l’atteinte à la dignité de la victime revient au juge.

Une culture de tolérance zéro

(Quality of Work Index 2023/CSL)

L’employeur n’est pas nécessairement en cause dans le harcèlement subi par l’un ou l’une de ses salarié·es, qui peut très bien être le fait de managers ou de collègues de même niveau hiérarchique. La loi impose néanmoins à l’entreprise une obligation de prévention en la matière. « Les sanctions pour les entreprises et les auteurs de harcèlement peuvent aller jusqu’à 2.500 euros d’amende pénale, et le directeur de l’ITM peut infliger à l’employeur une amende administrative pouvant aller jusqu’à 25.000 euros », rappelle l’article d’Improof.

La loi et son caractère coercitif ne suffiront pas à eux seuls à lutter contre ce phénomène « préoccupant ». « Les entreprises luxembourgeoises doivent non seulement se conformer à la législation, mais également aller au-delà en favorisant une culture de respect mutuel et en instaurant des politiques claires contre le harcèlement sous toutes ses formes », écrit Amanda Araujo. La psychologue invite les entreprises à adopter « une approche globale, mêlant prévention, intervention rapide et soutien aux victimes ». Les cas de harcèlement moral ne doivent pas être ramenés à de simples questions de conflits entre personnes, car ils peuvent être le « symptôme d’un environnement de travail dégradé », préjudiciable aux salarié·es, mais aussi à la bonne marche de l’entreprise.

L’article d’Improof insiste sur l’esprit de coresponsabilité qui doit être développé dans les entreprises : « Chaque membre de l’équipe doit participer à la création d’un environnement de travail sain en adoptant des comportements respectueux et en dénonçant les agissements abusifs. » Selon Amanda Araujo, « la transformation de la culture d’entreprise vers une tolérance zéro face à toute forme de violence et de harcèlement est la clé pour un changement durable ». Et hautement souhaitable.

L’analyse complet est accessible sur improof.lu

Le harcèlement moral selon la loi

La notion de harcèlement moral au travail a été introduite dans le Code du travail par la loi du 29 mars 2023. Ce texte, le premier du genre, a pour objectif de protéger les salarié·es. Face à la multiplicité des définitions aux contours parfois vagues, le législateur luxembourgeois a retenu la définition déjà en cours dans le service public, car elle est assez générale et englobe un large éventail de situations possibles de harcèlement. Selon la loi, « constitue un harcèlement moral à l’occasion des relations de travail (…), toute conduite qui, par sa répétition, ou sa systématisation, porte atteinte à la dignité ou à l’intégrité psychique ou physique d’une personne ».


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