Interventions : Rwanda, Kosovo et le chemin de l’enfer

Faciliter les interventions militaires, est-ce une bonne idée ? 30 ans d’expériences et d’interrogations par rapport au « nouvel ordre mondial » inspirent le scepticisme.

Photos de victimes au Mémorial du génocide de Kigali au Rwanda. (Photo : Wikimedia/Nelson.gashagaza/CC BY-SA 4.0)

La multiplication des opérations militaires occidentales dans des pays tiers depuis les années 1990, c’est la raison invoquée pour réformer le cadre légal luxembourgeois dans lequel se déroulent de telles missions (voir woxx 1520 : « Voir large ! »). En effet, jusqu’en 1989, la division du monde en deux et l’équilibre de la terreur nucléaire limitaient les possibilités d’interventions ouvertes – l’action de l’ONU se limitait en général à des «  opérations de maintien de la paix ».

Or, dès 1990, au nom d’un « nouvel ordre mondial », le président américain George H. W. Bush mit en place une expédition militaire afin d’obliger l’Irak à renoncer à l’annexion du Koweït. Le succès militaire obtenu encouragea les États-Unis à mettre en place une « intervention humanitaire » dans la guerre civile en Somalie en 1992. Le coup de force baptisé « Restore Hope » se solda par un échec cuisant – depuis, la corne de l’Afrique est restée plongée dans le chaos et la violence.

(Non-)intervention au Rwanda en 1994

À la même époque, les tentatives de l’ONU de régler avec prudence et diplomatie les guerres en Yougoslavie ne connurent guère plus de succès. Surtout, cette retenue et les hésitations des grandes puissances firent que la communauté internationale assista passivement au génocide au Rwanda. Il y a 25 ans et quelques jours, le 7 avril 1994, le gouvernement dominé par des extrémistes de l’ethnie hutue déclencha un massacre de l’ethnie tutsie et d’opposant-e-s hutu-e-s qui devait faire près d’un million de mort-e-s.

La crise rwandaise continue aujourd’hui à servir d’argument en faveur d’un droit d’ingérence international dans les affaires d’un pays, alors que la charte de l’ONU interdit en principe une telle ingérence. En fait, une intervention militaire mandatée par l’ONU eut lieu en juin 1994. Mais le fait qu’elle arrive trop tard et soit menée par la France, qui avait toujours soutenu les extrémistes hutus, montre que transformer l’exigence d’intervenir en une pratique d’ingérence menée à bien n’est pas évident.

Victoire pour l’Otan en 1999

La guerre du Kosovo, qui a commencé jour pour jour ce dimanche il y a 20 ans, offre une autre expérience d’ingérence. Le 24 mars 1999, l’Otan commença à bombarder ce qui restait alors de la « République fédérale de Yougoslavie », afin d’obtenir le retrait des forces armées serbes du Kosovo. Contrairement aux interventions mentionnées plus haut, l’alliance militaire occidentale agissait sans mandat de l’ONU. En fait, elle mettait à exécution une menace conçue pour obliger le président yougoslave Slobodan Milošević à négocier avec la guérilla indépendantiste

Badge de la guerre du Kosovo : intervention humanitaire ou promenade de santé pour l’Otan ?
(Photo : USAF/PD)

kosovare, plutôt que de poursuivre sa politique de répression brutale.

Cette intervention est souvent considérée comme un succès, puisqu’elle mit effectivement fin à la répression. Au bout de 78 jours de campagne aérienne, Milošević céda, et le dirigeant antioccidental et nationaliste serbe dut quitter le pouvoir dès l’année suivante. Un triomphe pour le « monde libre », d’autant plus que les pertes de l’Otan se limitèrent à deux morts et quelques avions détruits. Et un joli cadeau d’anniversaire pour une Otan fêtant alors son cinquantenaire, et qui avait traversé une crise existentielle après 1989.

L’humanitaire, principe ou prétexte ?

À y regarder plus près, le succès de l’intervention a été très relatif. Plutôt que de rétablir la paix civile, l’Otan a permis aux nationalistes albanais d’inverser le rapport de forces au Kosovo : depuis, ce sont les membres de l’ethnie serbe qui sont persécuté-e-s et chassé-e-s de leurs villages. Le choix d’intervenir sous forme d’expédition punitive avec des bombardements d’altitude – imprécis, mais mettant moins en danger les pilotes occidentaux-tales – est également discutable : une ingérence humanitaire ne devrait-elle pas en premier lieu protéger les victimes, comme l’aurait fait une force d’interposition terrestre ?

Le fait d’agir sans mandat de l’ONU a également créé un précédent dangereux, tout comme la déclaration d’indépendance unilatérale du Kosovo en 2008, qui peut être considérée comme une conséquence de l’intervention occidentale. Certes, en 1999, la propagande occidentale évoquait un génocide planifié contre la population albanaise. Mais avec le recul, l’intervention peut aussi être interprétée comme une habile manœuvre géopolitique, utilisant le prétexte d’un désastre humanitaire pour faire tomber un régime antagoniste et élargir la sphère d’influence occidentale.

Cet historique des premières « interventions humanitaires » de l’après-guerre froide jette un doute sur l’opportunité de miser sur la force militaire pour préserver la paix mondiale. Hélas, le projet de loi réformant notamment le cadre des missions luxembourgeoises à l’étranger vise à faciliter le recours aux moyens militaires et le réarmement. De surcroît, pour l’instigation d’opérations militaires, il ne se réfère pas uniquement à l’ONU, mais favorise les alliances politiques et militaires comme l’UE et l’Otan (voir woxx 1520 : « Voir large ! »). En somme, il contribue à détricoter le système de droit international, alors que l’humanité aurait besoin plus que jamais de collaborer face aux défis de la mondialisation et des désastres écologiques.


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