Iran : exil forcé

Depuis la révolution de 1979, le régime théocratique iranien mène une véritable guerre à l’encontre de la moitié de sa population, les femmes, poussant certaines d’entre elles à l’exil. Une association au Luxembourg s’attelle à collecter les témoignages de ces réfugiées pour les porter, avec d’autres organisations, devant la Cour pénale internationale.

Depuis plus de quatre décennies, le régime théocratique iranien fait tout pour invisibiliser la moitié de sa population, les femmes. (Photo: DR)

Le 16 septembre 2022, Mahsa Amini, une jeune étudiante iranienne kurde de 22 ans, mourait trois jours après avoir été arrêtée par la police des mœurs pour un voile mal ajusté. Son décès a provoqué une vague d’indignation et des soulèvements à travers le pays, et a marqué l’émergence du mouvement féministe « Femme, vie, liberté », qui fut particulièrement fort entre septembre et décembre 2022. On se souvient de ces courageuses Iraniennes bravant les autorités en brûlant leur voile. La réponse du régime des mollahs a été féroce : plus de 500 manifestant·es ont été tué·es et des dizaines de milliers de personnes arrêtées. Parmi elles, certaines ont été condamnées à mort.

Le recours à la peine capitale est depuis utilisé massivement pour répandre la peur au sein de la population, comme le souligne le rapport d’Amnesty International intitulé « Don’t Let Them Kill Us : Iran’s Relentless Execution Crisis Since the 2022 Uprising ». Le nombre des exécutions a doublé entre 2022 et 2023, année où le régime a procédé à 853 exécutions, dont une vague a « visé des manifestant·es, des utilisateurs·rices de médias sociaux et d’autres opposant·es réel·les ou supposé·es ». « Les autorités utilisent la peine de mort comme une arme, dans une tentative orchestrée de semer la peur au sein de la population et d’étouffer la contestation », a déclaré Diana Eltahawy, directrice régionale adjointe pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord pour Amnesty International. Les femmes ne sont pas épargnées, signale par ailleurs l’ONG, citant notamment la défenseure des droits humains Sharifeh Mohammadi et la militante de la société civile kurde Pakhshan Azizi, qui ont récemment été reconnues coupables de « rébellion armée contre l’État » et condamnées à mort par des tribunaux révolutionnaires dans des affaires distinctes.

Au Luxembourg, des avocat·es indigné·es par l’impitoyable réaction des autorités iraniennes face aux soulèvements se sont mobilisé·es et ont décidé de monter une asbl : l’Association de défense des droits humains en Iran (ADHI). Désireux·ses de « donner la voix à ceux qui n’en ont pas » et de participer à la médiatisation de la situation tragique en Iran, ses membres ont notamment encouragé les député·es luxembourgeois·es à parrainer les condamnés à mort. L’un des objectifs actuels d’ADHI est de rassembler les preuves d’actes de violation de droits humains sur le territoire iranien à l’encontre de réfugié·es et résident·es luxembourgeois·es, en vue de les partager avec d’autres organismes et institutions et de les porter devant la Cour pénale internationale. « Nous voulons poursuivre l’Iran pour crimes contre l’humanité », explique Yasmine Guebasi, avocate et l’une des membres fondatrices d’ADHI. « Il s’agit aussi, à terme, de faire reconnaître l’oppression des femmes comme un crime contre l’humanité. »

Apartheid de genre

En effet, à l’instar des Nations unies et d’ONG comme Amnesty International, les juristes d’ADHI plaident pour que « l’apartheid de genre » soit reconnu comme crime contre l’humanité. Le 18 juin dernier, le rapporteur spécial de l’ONU sur l’Afghanistan, Richard Bennett, a estimé que le « système institutionnalisé d’oppression fondé sur le genre » des talibans serait constitutif d’un « crime contre l’humanité ». Une position soutenue par l’Union européenne et le gouvernement luxembourgeois. En Iran aussi, la répression contre les femmes et les filles est systémique. « Deux ans après le début des manifestations consécutives à la mort en détention de la jeune Mahsa Amini, Téhéran a intensifié ses efforts pour réprimer les femmes et les filles, mais aussi écraser les dernières initiatives du militantisme féminin », a ainsi averti mi-septembre la Mission internationale indépendante d’établissement des faits de l’ONU sur l’Iran. Des rapports ont fait état du recours au viol, à la torture et à d’autres formes de mauvais traitements par les forces de sécurité iraniennes. ADHI a également pu obtenir des témoignages directs corroborant ces agissements. « Nous avons par exemple un témoignage faisant état d’une femme emprisonnée de qui le gardien exigeait des faveurs sexuelles en échange du médicament dont elle avait besoin pour rester en vie. Une autre a été stérilisée de force par voie médicamenteuse. Nous avons accumulé beaucoup de cas dans le cadre de l’étude (d’avocats, ndlr) », glisse Yasmine Guebasi.

D’après l’ONU, les forces de sécurité ont encore intensifié le recours à la violence physique envers celles qui ne respecteraient pas les lois sur le hijab, ainsi que renforcé la surveillance de son port dans les sphères publiques mais aussi privées, dans les véhicules par exemple, notamment via des drones. Et la loi serait sur le point de se durcir davantage : « Au milieu de cette escalade de la violence, un projet de loi sur le hijab et la chasteté est en phase finale d’approbation par le Conseil des gardiens de l’Iran et devrait être finalisé sous peu », prévient l’ONU. « Ce projet prévoit des sanctions plus sévères pour les femmes qui ne portent pas le hijab obligatoire, notamment des amendes exorbitantes, des peines de prison plus longues, des restrictions en matière de travail et d’éducation et des interdictions de voyager. » Pour les expert·es de l’ONU, ce projet pourrait là aussi « être décrit comme une forme d’apartheid entre les sexes, car les autorités semblent gouverner par le biais d’une discrimination systémique dans l’intention de contraindre les femmes et les jeunes filles à une soumission totale ».

Des décennies d’oppression

Si beaucoup d’Occidentaux·ales découvrent l’incroyable résistance actuelle des Iranien·nes, qui poursuivent la mobilisation en dépit de la sévère répression, ce n’est pas la première fois que les femmes se soulèvent pour contester le pouvoir théocratique ou trouvent des parades pour échapper aux injonctions discriminatoires. « Actrices de la sécularisation et de la résistance, les Iraniennes sont la cible du régime depuis 1979 », rappelle sur son site « La Vie des idées », le magazine d’analyse rattaché à l’Institut du monde contemporain du Collège de France. Trois semaines seulement après son arrivée au pouvoir, et avant même l’établissement de la République islamique, Khomeini déclara en effet le port du voile obligatoire pour les femmes travaillant dans les établissements publics, marquant « le début du processus d’invisibilisation et de stigmatisation des femmes », poursuit l’autrice de l’article, Marie Ladier-Fouladi. Suivront d’autres décisions rigoristes et patriarcales, qui ne se sont pas imposées sans accroc. Parfois, les femmes sont même parvenues à reconquérir une place dans l’espace public, comme l’accès aux études supérieures, qui leur fut à nouveau permis en 1992. Mais elles en ont beaucoup perdu, victimes des autorités mais aussi de la société tout entière, qui reste très traditionaliste.

Opprimées ou contestataires, éprises de liberté ou apeurées, certaines n’ont eu d’autre choix que de quitter ce territoire qui leur est hostile. Souvent au péril de leur vie et dans des conditions de voyage terribles. « Une des femmes que nous avons rencontrées a été mariée de force à son passeur », illustre Yasmine Guebasi. ADHI nous présente l’une de ces exilées, Helena*, 30 ans, arrivée seule au Luxembourg il y a dix ans. « C’est très rare, les femmes qui arrivent seules d’Iran ou d’Afghanistan. Elles ont généralement un certain niveau d’éducation », souligne la secrétaire générale d’ADHI. « L’immense majorité arrivent accompagnées de leur mari ou par regroupement familial. »

Helena nous apprend qu’en Iran, elle était étudiante en physique à Téhéran. Elle militait au sein de son université pour le droit des femmes et collaborait à un site internet qui contestait les décisions gouvernementales. Elle distribuait des tracts avec son frère et quelques amis le jour où ils et elle ont été interpellé·es par la police. « Mon frère a fini par être envoyé en prison. Sentant le danger, je me suis cachée et j’ai pris la direction du nord du pays, pour me réfugier chez une amie », dit-elle. Là-bas, le père de cette amie l’aide à trouver un passeur. À 20 ans, livrée à elle-même et moyennant 2.000 euros, elle embarque à l’arrière d’un camion qui l’emmènera secrètement en Turquie. « Des passeurs m’ont fait changer plusieurs fois d’endroit. Parfois, je devais marcher de longues heures – dix, douze heures par jour −, parfois je voyageais en camion », raconte, de manière laconique, la jeune femme, qui bute de plus en plus sur les mots en avançant dans son récit, tant la difficulté demeure grande de revenir sur ce passé traumatique.

Elle est déposée sans le savoir et un peu par hasard au Luxembourg. « Je voulais rejoindre un pays sûr comme l’Allemagne ou la France. On m’a fait descendre quelque part, je n’avais aucune idée de l’endroit où j’étais. Je cherchais désespérément à parler à un policier ou à me rendre dans un commissariat. Quand j’ai enfin rencontré un agent de police, il m’a annoncé que j’étais au Luxembourg et m’a demandé mes papiers. Je n’en avais pas, alors j’ai été envoyée à Luxexpo », où se trouvait alors le centre d’hébergement d’urgence. « Une semaine plus tard, j’ai obtenu le statut de réfugiée. »

Aujourd’hui, elle a même obtenu la nationalité luxembourgeoise et travaille dans une crèche. Si elle dit avoir surmonté la plupart de ses fantômes, le stress lié à la peur qu’elle a ressenti en Iran et son exil forcé continuent par moment d’avoir des répercussions sur sa santé physique et mentale et l’empêchent d’envisager un quelconque retour sur sa terre natale, malgré le fait que sa mère et ses deux frères vivent toujours là-bas. « Mon frère est sorti de prison, mais ma famille a dû payer énormément d’argent en contrepartie, et il n’a pas le droit de faire ce qu’il veut. Je serais en danger si j’y retournais. »

Si Helena avoue ne pas regretter d’avoir privilégié sa sécurité en quittant le pays et en laissant le combat à d’autres sur place, elle veut cependant continuer de braquer les projecteurs sur l’Iran. « Je partage beaucoup de posts sur les réseaux sociaux et je témoigne de mon expérience, car c’est important que la communauté internationale ne se détourne pas de l’Iran. Lorsque les Occidentaux regardent l’Iran, les forces de sécurité ont un tout petit peu plus de retenue… », estime la jeune femme, qui, malgré les terribles nouvelles qui lui parviennent, refuse de perdre espoir.

*Le prénom a été changé

De Téhéran à Luxembourg

« Iran 1979. La révolution, puis la guerre. Une jeune femme à peine majeure et aucun autre choix que celui de fuir. Luxembourg 2024. La jeune femme exilée est devenue mère et y vit paisiblement depuis plus de 25 ans. L’Iran semble bien loin. Et pourtant… » Le Théâtre national du Luxembourg accueille pour plusieurs représentations la pièce « Téhéran-Luxembourg », inspirée du témoignage d’une femme iranienne qui a dû fuir son pays natal et a atterri au grand-duché. Avec humour, sensibilité et pudeur, l’héroïne, Shadi, partage ses souvenirs, teintés d’espoir et de chagrin. Elle retrace son adolescence dans un Iran secoué entre révoltes, répression et guerre, puis sa recherche de nouveaux repères pour sa toute nouvelle vie au Luxembourg. Le projet, entièrement réalisé par des femmes − il est écrit par Marie-Claire Junker, mis en scène par Tiphanie Devezin et interprété par Shiva Gholamianzadeh −, raconte l’Iran et un récit de vie que partagent de nombreuses autres exilées ou réfugiées. Samedi 12 octobre, la représentation sera suivie d’une table ronde organisée conjointement par la compagnie Théâtre de garde et ADHI, au cours de laquelle des femmes iraniennes et afghanes viendront témoigner de leur expérience, des difficultés qu’elles ont rencontrées à quitter leur pays d’origine, avec notamment la culpabilité d’avoir dû laisser d’autres victimes derrière elles, ainsi que de leur insertion au Luxembourg.

Langue véhiculaire : anglais. Informations et réservations sur tnl.lu/teheran-luxembourg

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