Jay Roach : Moutons noirs et
 chevaliers blancs

Même s’il fait l’impasse sur les véritables opinions de son personnage principal, « Trumbo » a le mérite d’évoquer une période sombre de l’histoire d’Hollywood.

1370kino

Un film qui repose sur les épaules de Bryan Cranston… et il fait le boulot.

Il ne faisait pas bon avoir des sympathies communistes – ou de simples velléités d’égalité – dans les États-Unis des années 1950. Et Hollywood n’était évidemment pas une exception : la Commission de la Chambre sur les activités antiaméricaines a réussi à mettre sur la touche, au moyen d’une liste noire, nombre d’acteurs, scénaristes et techniciens soupçonnés d’allégeance à l’ennemi soviétique. Parmi eux, Dalton Trumbo, déjà auteur de nombreux scripts avant son bannissement.

Pour Trumbo, ce rejet est synonyme de déchéance sociale : il lui est impossible d’exercer son métier, et les problèmes d’argent ne tardent pas à ébrécher sa confortable vie bourgeoise. Il doit vendre son ranch et déménager avec sa petite famille dans un quartier de Los Angeles moins huppé. La puissance de ses ennemis est telle qu’il ne peut éviter un séjour en prison.

À sa sortie, c’est d’abord dans un studio de moindre envergure qu’il va trouver du travail, sans être crédité au générique des films qu’il écrit. Il va même remporter un Oscar sous un faux nom. Ses interventions en sous-main sur les scénarios de collègues vont cependant devenir un secret de polichinelle. Sous les coups de boutoir de Kirk Douglas, qui le veut pour « Spartacus », et d’Otto Preminger, qui insiste pour qu’il lui écrive son « Exodus », l’ostracisme dont il est victime va enfin céder et son nom revenir aux génériques.

« Trumbo » a le mérite d’évoquer les heures sombres de la chasse aux communistes au sein de l’industrie cinématographique américaine. Ce thème n’est pas souvent traité sur grand écran, et on saura gré à Jay Roach de l’avoir abordé. De ce réalisateur, on ne s’y attendait pas forcément : il est quand même l’auteur de la série des… « Austin Powers » ! C’est pourtant ici avec application, sans génie mais avec métier, que Roach pose sa caméra. Le scénario est efficace (c’est bien la moindre des choses pour un tel sujet), quoique parfois un peu insistant, et les plans travaillés. On sent que le cinéaste a intériorisé son thème, ce qui donne un film sincère et techniquement maîtrisé.

Pourtant, si « Trumbo » ne sombre pas dans l’éternel problème des biopics, à savoir la tentation de l’hagiographie, c’est justement parce qu’il lui manque un petit quelque chose. À contempler l’enchaînement des scènes, convaincantes, on finit par se demander quelles étaient les véritables opinions de ce scénariste persécuté pour ses idées. Quelle était au juste sa radicalité ? Car, avec seulement quelques clowneries bien senties d’un bobo avant l’heure devant des adversaires politiques et une conversation enfantine avec sa fille sur ce qu’est le communisme, il est difficile de cerner le personnage. Volonté du réalisateur de lui laisser une part d’ombre ? On pourrait rétorquer que le spectateur aurait le droit d’en savoir plus. Ou serait-ce de l’inquisition ?

Reste que, à l’exception de seconds rôles bien réussis (notamment John Goodman en directeur de petit studio intéressé uniquement par les filles et l’argent), le film repose entièrement sur les épaules de Bryan Cranston. Il ne faut pas trop compter sur les pâles sosies de Kirk Douglas, John Wayne ou Edward G. Robinson. Par contraste, bougon, plein de verve et de bagout, Cranston émerveille dans un rôle qu’il a manifestement abordé comme essentiel dans sa carrière. Alors, même si des interrogations persistent, le film vaut le ticket de cinéma : il amorce une réflexion salutaire sur cette industrie tellement perméable au contrôle, où la censure officielle a peut-être perdu de sa superbe, mais où l’argent règne encore en maître.

À l’Utopolis Kirchberg.
 Tous les horaires sur le site.

L’évaluation du woxx : XX


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