Les chamboulements produits par l’annonce du G7 de vouloir aller vers un impôt minimal mondial sont la conséquence logique d’un mouvement qui ne date pas d’hier vers plus de justice fiscale.
Trois ans d’affilée sans payer un cent d’impôts fédéraux aux États-Unis, c’est le record établi par George Soros. Ses concurrents Jeff Bezos et Carl Icahn ont réussi le coup deux fois, tandis que Michael Bloomberg et Elon Musk n’ont eu cette « chance » qu’une fois jusqu’ici. C’est un des résultats de l’enquête de la plateforme de journalisme d’investigation ProPublica : « The Secret IRS Files : Trove of Never-Before-Seen Records Reveal How the Wealthiest Avoid Income Tax ». Les journalistes ont réussi à obtenir les déclarations fiscales de leurs concitoyen-ne-s les plus fortuné-e-s et décryptent cas par cas comment les ultrariches réussissent à profiter d’un système fiscal qui leur permet d’échapper au devoir de payer leur contribution à la société.
Cette révélation – qui n’en est pas une véritablement, mais les articles de ProPublica permettent de lever les derniers soupçons − n’est que le dernier symptôme d’un changement de mentalité qui se prépare depuis au moins une dizaine d’années. Que ça se passe justement aux States, où les millionnaires sont vénéré-e-s comme des saint-e-s, peut étonner. Mais après le règne d’un milliardaire véreux qui a fait encore des cadeaux fiscaux aux ultrariches et la pandémie qui est passée par là, faisant apparaître au grand jour les déficiences du système de santé et la précarité de l’emploi, le levier politique pour taxer les plus riches est certainement plus facile à tirer.
L’exposition de l’industrie fiscale a fini par payer
C’est sur cet élan politique que l’administration Biden s’est appuyée pour pousser le G7 vers la déclaration tonitruante du weekend dernier. La taxation des multinationales n’est désormais plus un tabou, et la volonté de s’en prendre à tout le réseau qui fait fonctionner l’« optimisation » fiscale est plus forte que jamais. Le chemin parcouru depuis Luxleaks, les commissions spéciales du Parlement européen et d’autres initiatives valait alors la peine d’être emprunté. Faire découvrir au public l’existence de toute une industrie qui facilitait aux ultrariches l’évitement d’impôts a certainement mené à une prise de conscience de l’impact de l’injustice fiscale. Car celle-ci est à la source de presque toutes les inégalités et les creuse en même temps : les multinationales (et les milliardaires auxquelles elles appartiennent) peuvent non seulement échapper au devoir de payer leur part à la société – qui leur a permis de s’enrichir –, mais, ce faisant, leurs richesses peuvent continuer de croître, quasiment en mode découplé de l’économie réelle, comme le cas d’Amazon pendant la pandémie l’a démontré allègrement. Jeff Bezos est devenu l’homme le plus riche de la planète, tandis que sa succursale européenne au Luxembourg n’a pas payé un centime d’impôts sur les sociétés, grâce à un habile montage.
C’est justement là où l’impôt minimal mondial aurait de l’impact. En mobilisant une taxe de 15 pour cent sur les taux effectifs, les montages d’optimisation perdraient de leur efficacité et de leur attrait. Mais ce serait aussi un challenge, du moins pour les grandes firmes d’audit, les Big Four, qui dominent cette industrie – et pour le Luxembourg. Ce n’est sûrement pas une histoire éphémère qui disparaîtra avec un coup de brosse marketing – comme Nicolas Mackel, le patron de Luxembourg for Finance, l’a conseillé à Jeff Bezos sur les ondes de RTL cette semaine. Même s’il a été d’un calme ostentatoire – « Le Luxembourg n’est pas que la fiscalité » –, Mackel a pourtant fait des siennes en pestant contre celles et ceux qui seraient « obsédé-e-s » par des hausses d’impôts comme remède à tous les maux.
Une question de redistribution
Pourtant, les questions essentielles de la justice fiscale ne sont pas encore vraiment réglées, même pas par cet impôt « révolutionnaire ». Si lever une taxe minimale est une bonne idée, l’approche du G7 – et plus tard probablement du G20 – ne pose pas la question, non moins essentielle, de la redistribution de cette nouvelle manne. L’ONG Tax Justice Network a par exemple épluché l’approche de l’OCDE en la matière et a constaté qu’elle « privilégie les sièges principaux de ces sociétés [multinationales], qui sont typiquement les pays les plus riches », peut-on lire sur son blog. Et de constater que les pays les plus pauvres risqueraient de voir des gains proportionnellement plus petits.
Tax Justice Network propose alors une autre approche, appelée METR (Minimum Effective Tax Rate), qui permettrait d’engranger les mêmes sommes payées en impôts et les distribuerait là où l’activité économique réelle est logée. Cela serait donc plus juste pour les pays qui ont accueilli des multinationales occidentales, mais qui souvent n’en tirent pas grand-chose dans leurs budgets.
En d’autres mots, l’idée de cet impôt est un grand pas en avant, mais la justice fiscale ne sera achevée que quand le problème de la redistribution sera réglé de façon aussi révolutionnaire que l’impôt lui-même. Il reste encore du chemin à parcourir pour que justice soit vraiment faite.
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