L’Aleba perd en justice : Le front syndical unitaire attendra

L’Aleba voulait retrouver sa représentativité sectorielle, perdue en mars 2021 sur décision du ministre du Travail. Le tribunal administratif vient de débouter le syndicat de sa demande. Il fera appel de cette décision, nourrissant un feuilleton qui se joue tant sur le front judiciaire que syndical, où l’inimitié envers l’OGBL et le LCGB va grandissant.

La direction de l’Aleba lors d’une conférence de presse à Luxembourg, le 21 mars dernier. (Photo : Fabien Grasser)

L’histoire rebondit une nouvelle fois pour l’Aleba. Mais la balle n’est pas tombée du bon côté pour le syndicat historique du secteur bancaire. Ce 29 mars, le tribunal administratif l’a débouté de son recours pour faire annuler la décision du ministre du Travail de lui retirer sa représentativité sectorielle, en mars 2021. Le socialiste Dan Kersch, qui occupait alors le poste, avait été saisi à l’automne 2020 par l’OGBL et le LCGB, sur fond de querelle sur le renouvellement des conventions collectives dans les secteurs de la banque et des assurances. Un épisode que les deux parties ressassent depuis à volonté, se rejetant mutuellement les torts. Les deux confédérations à représentativité nationale avaient motivé leur requête auprès du ministre par les résultats des élections sociales de mars 2019. L’Aleba n’y avait récolté que 49,2 % des votes dans le groupe « services et intermédiations financiers » à la Chambre des salariés (CSL), manquant d’un poil les 50 % nécessaires pour conserver sa représentativité sectorielle.

Au vu de ce résultat étriqué, le ministre avait d’abord maintenu cette représentativité, d’autant que l’Aleba devançait largement ses deux concurrents dans le secteur, l’OGBL obtenant 31,5 % des voix et le LCGB 19,2 %. Cette concession ministérielle n’avait cependant pas valeur de droit acquis, vient de rappeler la juridiction administrative. Elle récuse ainsi l’un des multiples arguments avancés par l’Aleba et déclare « non justifié » sur le fond le recours introduit par le syndicat.

Après avoir pris connaissance du jugement, au retour du week-end pascal, son président, Roberto Mendolia, ne décolérait pas : « Je me dis que ce n’est pas possible, je ne comprends pas cette décision, qui est uniquement basée sur les allégations de nos opposants. » Une nouvelle fois, le syndicaliste fustige une décision antidémocratique fondée sur « des lois faites pour protéger les syndicats politiques », terme par lequel il désigne l’OGBL et le LCGB. Dans son recours devant le tribunal administratif, la défense de l’Aleba dénonçait un « trafic d’influence ».

Une « fédération » avec le NGL-SNEP

En toute logique, Roberto Mendolia confirme que l’Aleba fera appel du jugement devant la Cour administrative. Par le passé, il s’était aussi dit prêt à introduire une requête devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) si son syndicat n’obtient pas gain de cause devant les juridictions nationales. Mais le président de l’Aleba veut aussi se projeter dans un avenir plus radieux.

L’horizon, ce sont les élections sociales du 14 mars 2024, pour lesquelles le syndicat affiche des ambitions révolutionnaires au regard de son histoire vieille de 105 ans. Il y a trois semaines, le syndicat annonçait qu’il présentera désormais des listes au-delà du secteur financier pour obtenir une représentativité nationale, à l’instar de l’OGBL et du LCGB. Il s’ouvre aux salarié-es de tous les secteurs en faisant précisément valoir sa neutralité politique. Face à ce chantier titanesque, Roberto Mendolia affirme au woxx qu’il s’associera au NGL-SNEP, autre syndicat réputé neutre mais en sérieuse perte de vitesse depuis une bonne décennie. « Il ne s’agit pas de se réunir dans un seul syndicat, mais d’avancer ensemble au sein de ce qui pourrait être une fédération. »

La volonté d’en découdre avec l’OGBL et le LCGB sur leur propre terrain est manifeste. Le syndicat chrétien « ne prend pas position à ce stade », fait savoir Christophe Knebeler, secrétaire général adjoint du LCGB. Du côté de l’OGBL, Sylvie Reuter, secrétaire centrale pour le secteur financier, rappelle qu’il « n’a jamais été question d’écarter l’Aleba de la table des négociations ». « Sur la représentativité, nous n’avons jamais joué la mathématique », poursuit-elle. Elle se dit favorable « à un front syndical unitaire afin de peser face au patronat dans l’intérêt des salariés ».

Quand il s’agit de commenter la récente décision du tribunal administratif, Sylvie Reuter est plus véhémente : « En accusant le ministre d’avoir pris une décision partisane, l’Aleba falsifie la réalité, ce sont des fake news », s’emporte la syndicaliste. « Heureusement, ce jugement a déconstruit leurs arguments un par un. » Un avis tranchant, pas vraiment à même de paver la voie vers « un front unitaire » au sein du monde syndical luxembourgeois.

Imbroglio sur le rapport de l’ITM

Dan Kersch s’est-il prévalu d’un faux rapport de l’Inspection du travail et des mines (ITM) pour justifier sa décision de retrait de la représentativité sectorielle à l’Aleba, en mars 2021 ? C’est ce que suggère la défense du syndicat dans son recours devant le tribunal administratif. La loi attribue au ministre du Travail la responsabilité d’octroyer, refuser ou retirer la représentativité à un syndicat. Mais il doit pour cela appuyer sa décision sur un « rapport circonstancié » de l’ITM. Dans l’affaire qui l’intéresse, l’Aleba a remis en cause l’authenticité du rapport de l’ITM car il lui a été transmis par le ministère sans mention de date et d’auteur. 
« Ce document n’étant pas signé et n’étant pas rédigé sur l’en-tête de l’ITM, il est impossible d’en connaître l’auteur. De plus, n’étant pas daté, il est impossible de considérer que ce courrier serait préalable à la décision du ministre », a accusé la défense du syndicat. Et d’insister sur « le soi-disant rapport circonstancié de l’ITM » ou sur « l’ITM présentée comme l’auteur du rapport ». 
Sollicitée, l’ITM a rapidement confirmé au woxx que « par courrier rédigé sur papier à en-tête de l’ITM du 23 février 2021, le directeur de l’ITM a adressé le rapport circonstancié au ministre ayant le Travail dans ses attributions ». Cette réponse confirme que les mentions de date et d’auteur ont bien disparu de la copie transmise à l’Aleba. Mais qu’en est-il du fond ? Le contenu du rapport de l’ITM est-il strictement identique à celui communiqué à l’Aleba ? Interrogé à ce sujet par le woxx, le ministère du Travail traîne des pieds depuis plus de trois semaines et refuse de justifier ce long silence. 
Mais dans son jugement, le tribunal administratif a en partie tranché la question, sans pour autant s’appesantir sur le fond : « La nature du rapport en question de même que l’identité de son auteur et le fait qu’il soit intervenu préalablement à la décision ministérielle litigieuse ne sauraient être raisonnablement mis en doute », écrivent les magistrats. « Le Code du travail ne prescrit aucune forme particulière pour le rapport de l’ITM », précisent-ils. Autrement dit, le ministère n’était pas obligé de transmettre le rapport avec mention de date et d’auteur.


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