La nouvelle directive européenne sur la protection des lanceurs d’alerte est enfin sur la table, mais pourrait être contredite par celle sur le secret des affaires.
On a les priorités qu’on a : tandis que le parlement vient de voter le projet de loi anti-niqab (pudiquement appelé « loi portant interdiction de la dissimulation du visage dans les lieux publics ») du ministre de la Justice vert Félix Braz, ce dernier a annoncé il y a quelques semaines que le projet de loi sur la protection des lanceurs d’alerte ne sortira pas des tiroirs. Le ministre préférant attendre que l’Europe s’en mêle avant de prendre en main cette problématique, qui a pourtant touché le Luxembourg de près plusieurs fois ces dernières années.
Mais maintenant, c’est chose faite : la Commission européenne a présenté ce lundi une directive sur la protection des lanceurs d’alerte. Et quoique le grand-duché dispose de quelques mécanismes de protection, ceux-ci ne valent que dans les cas de corruption ou de blanchiment. C’est pourquoi la Commission ne considère pas que le Luxembourg protège les lanceurs d’alerte. La directive propose trois étapes pour les potentiels lanceurs d’alerte : ils devront en première instance se référer à leur entreprise ou institution ; si cela ne donne rien, il pourront se tourner vers une instance externe, et ce n’est qu’après avoir épuisé cette possibilité qu’ils pourront donner des informations au public. Les deux premières étapes ne pourront être sautées qu’en cas d’urgence et de danger public. Même si certaines ONG voient encore trop de flou et d’incohérences dans cette directive, elle est largement saluée.
D’autant plus que la directive sur le secret des affaires, qui vient d’être transposée en droit national par le Parlement français, a été vue comme une attaque contre la liberté de la presse et les lanceurs d’alerte – vu qu’elle sanctifie ce secret. Que cette directive soit passée avant celle des lanceurs d’alerte montre du moins que Braz n’est pas le seul à s’emmêler les pinceaux avec les priorités. Il sera donc assez difficile, après l’adoption des deux directives, de savoir où va pencher la justice dans le cas d’un nouveau Luxleaks.
Mais au grand-duché, on n’en est pas encore là. Pour l’instant, le Luxembourg ne protège pas les lanceurs d’alerte, mais le secret des affaires, à l’instar du secret fiscal. C’est pourquoi l’adoption de la directive sur le secret des affaires n’est pas une priorité, tout comme celle sur les lanceurs d’alerte. En ce sens, les leçons que le pays aurait pu tirer de l’affaire Luxleaks restent ignorées.
Les leçons que le pays aurait pu tirer de l’affaire Luxleaks restent ignorées.
Ce qui rend la situation luxembourgeoise encore plus complexe est le manque de transparence des institutions (aucune loi ne permet aux citoyen-ne-s ni aux journalistes d’accéder aux informations administratives), la culture du secret et de la discrétion, qui font tout le charme de la place financière et qu’aucun politique ne pense sérieusement à démanteler. Mais la démocratie agit un peu comme l’eau : elle trouve toujours son chemin. Et dans le cas du Luxembourg, cela va continuer sous forme d’indiscrétions, de fuites et d’autres révélations qu’une administration aussi opaque ne sera pas en mesure de contrer efficacement. L’immobilisme luxembourgeois sur ces questions cruciales risque de coûter de plus en plus cher à l’avenir.