Les organisations patronales prennent position sur le budget 2024 de l’État en noircissant le trait sur l’ampleur des déficits. Un retour à l’équilibre est nécessaire pour sauver le modèle social luxembourgeois, disent-elles. Pour y parvenir, elles préconisent le détricotage de ce même modèle social. Vous avez dit bizarre ?
L’Union des entreprises Luxembourg (UEL), la Chambre des métiers et la Chambre de commerce ont chacune pris position, ces dernières semaines, sur le budget 2024 de l’État. Avec un sens variable du détail d’une organisation patronale à l’autre. Chapeau bas à la Chambre des métiers, dont les têtes pensantes ont concocté un pavé de 689 pages pour livrer leur avis dans un document publié le 2 avril et sobrement intitulé « Un budget de transition qui porte la marque du nouveau gouvernement ». Mais les apparences sont trompeuses, et seules 32 pages de ce travail herculéen portent réellement la marque de la Chambre des métiers, les 657 pages restantes reprenant tel quel le projet de budget élaboré par le gouvernement. Un brin plus elliptique, mais aussi plus poétique quant au choix du titre, la Chambre de commerce est « À la recherche des marges de manœuvre perdues », un document présenté ce 15 avril en conférence de presse par son directeur général, Carlo Thelen, et Anthony Villeneuve, un économiste maison. Le rapport invite le gouvernement à « passer des engagements… aux actes » tout au long de 25 pages abondamment illustrées de graphiques, de courbes et d’infographies pas toujours faciles à saisir au premier abord. Quant à l’UEL, c’est service minimum avec un communiqué de presse d’une vingtaine de lignes, publié le 28 mars à l’issue d’une rencontre entre trois représentants de l’organisation (que des mâles) et la rapportrice CSV du projet budget, Diane Adehm. Ceci pour la forme.
« Point trop n’en faut : pas de coup de règle sur le bout des doigts du gouvernement, juste une pichenette complice, tant le patronat est certain que CSV et DP empruntent une trajectoire budgétaire conforme à ses attentes. »
Sur le fond, les trois organisations distribuent un mauvais point au gouvernement pour le déficit budgétaire qui devrait s’établir à -1,2 % du PIB et une dette qui devrait atteindre les 26,5 % de ce même PIB en fin d’année. Des chiffres certes dans le rouge, mais qui ont largement de quoi faire pâlir d’envie l’écrasante majorité des partenaires européens du grand-duché.
Point trop n’en faut : pas de coup de règle sur le bout des doigts du gouvernement, juste une pichenette complice, tant le patronat est certain que CSV et DP empruntent une trajectoire budgétaire conforme à ses attentes. Bref, on surjoue la sévérité, sachant très bien que la coalition de droite est en parfait accord avec les patrons quant aux remèdes qu’ils préconisent. Après tout, il s’agit de sauver le modèle social luxembourgeois − c’en est presque émouvant. Pour cela, il faut réduire les dépenses de la fonction publique, dont la masse salariale est bien trop importante à leur goût. Il faut aussi tailler dans les transferts sociaux par davantage de sélectivité. Les trois mousquetaires patronaux s’inquiètent encore des dépenses de l’Assurance maladie, même si son solde, en sensible diminution, reste confortablement positif. Et puis il y a cette nécessaire réforme du système de pensions qui, aux dernières nouvelles, demeure pourtant l’un des plus florissants au monde, avec une réserve de 23,4 milliards d’euros. Mention spéciale à l’UEL, qui insiste « sur la nécessité de contenir la hausse du coût du travail pour permettre aux entreprises de générer de la matière imposable », dans le but d’activer « le levier fiscal » en faveur de ces mêmes entreprises. Autrement dit, c’est aux salarié·es de payer les baisses d’impôts des entreprises.
En résumé, aux yeux du patronat, la meilleure thérapie pour sauver le modèle social est encore de le détricoter. Élémentaire, mon cher Watson… ou plutôt mon cher Luc !