Le spectacle « Lettre ouverte aux escrocs de l’islamophobie qui font le jeu des racistes », basé sur le texte de Charb complété deux jours avant son assassinat, reste controversé. Entretien avec Gérald Dumont, comédien et metteur en scène.
woxx : Dernièrement, des étudiant-e-s l’université Paris VII ont tenté de bloquer votre spectacle. Comment l’avez-vous vécu ?
Gérald Dumont : En fait, il y a pas mal d’annulations, d’empêchements et autres – mais la dernière perturbation en date, c’est Paris VII. Les raisons sont toujours différentes. Dans ce cas, c’était le fait des étudiant-e-s de Sud Éducation de Paris VII, parce qu’apparemment ils considèrent que Charb n’a rien à faire dans le cadre d’une université. C’est le problème qu’on a souvent avec les syndicats d’extrême gauche : ils considèrent que « Charlie Hebdo » est islamophobe, donc critiquerait les musulmans, et comme ces derniers sont un peu les damnés de la terre actuels, on doit les protéger. C’est une espèce de bouillie dans leur crâne : ils pensent que la vraie laïcité impliquerait aussi de bannir le capitalisme, parce qu’il ferait plus de morts que les religions. C’est super confus et ça m’attriste carrément de voir des étudiant-e-s 50 ans après Mai 1968 vouloir bloquer un spectacle dans une fac. Mais après, ça me fait presque marrer tellement c’est con.
Et puis le texte de Charb dit totalement le contraire.
Bien sûr, la plupart des gens qui ont un problème avec ce texte sont des gens qui ne l’ont pas lu. Les anti-Charlie ne lisent pas Charlie généralement.
Qu’est-ce qui reste de pertinent dans l’œuvre de Charb et surtout dans ce texte-testament ?
Ça dépend. L’œuvre de Charb, c’est 25 ans de dessins qui marcheraient encore aujourd’hui, tellement ils restent actuels. Sur ce texte-là : il est devenu pertinent le lendemain des attentats, dès que Charlie a été attaqué, dès qu’on a commencé à dire qu’ils l’avaient bien cherché en les traitant de racistes et d’islamophobes. Et là, il est toujours pertinent. C’est qu’en France, on est en train de perdre sur la laïcité, il y a eu un énorme recul sur la liberté de conscience. De plus en plus de sujets sont en train de devenir tabous et on peut rire de moins en moins de choses. En tout cas, il faut faire très attention. Le texte de Charb met en garde justement contre cela. Et il est mort deux jours après l’avoir fini.
La France est depuis passée à l’ère Macron : est-ce que le libéralisme exacerbé aide à maintenir la laïcité ou est-ce qu’il précipite son déclin ?
À mon avis, Macron n’a rien à voir là-dedans. Le capitalisme y est pour quelque chose. Je comprends que des gamins se jettent dans l’islam radical parce que la société ne leur propose aucune utopie – et ça, ça ne date pas de Macron. Après, effectivement, je pense que ça a commencé à merder déjà sous Sarkozy. Quand on dit que le curé est plus important que l’instituteur, il y a un souci, surtout quand on est président. Et Macron reste dans cette ligne-là, il est quand même curé de Latran… Mais on ne sait pas encore où il en est sur la laïcité (ndlr : l’entretien a été mené lundi, avant les propos du président français devant la conférence des évêques).
Donc, tout le monde n’est plus Charlie ?
Oui, il y a eu une vague lors de la grande manif du 11 janvier, après il y a eu les ’oui, mais’, et puis le slogan ’Je suis Charlie’ a été détourné massivement aussi. Finalement, il s’est vidé de son sens jusqu’à ce qu’on oublie ce que veut dire être Charlie. Car ça ne veut pas dire acheter le journal, le lire toutes les semaines et le trouver génial ; des fois, il est même chiant. Mais c’est avoir une liberté d’esprit et de ton. C’est la liberté d’expression, c’est ça être Charlie. On n’est pas obligé d’être d’accord avec Charlie, mais c’est le fait que cette publication existe et qu’elle continue de paraître qui est important. C’est vraiment un indicateur de l’état de la démocratie, l’existence de Charlie.
Est-ce que le Charlie d’aujourd’hui, qui est produit sous la protection d’un énorme effectif de sécurité, peut toujours revendiquer la même liberté d’expression ?
Absolument. Mais « Charlie Hebdo », c’est sans doute le journal qui est lu avec les plus grosses loupes de la presse française. Le moindre truc prend des proportions énormes. Il suffit qu’il y ait une couverture avec un musulman et ça y est, c’est la nouvelle provocation de Charlie. Et s’il n’y en a pas, c’est que le journal n’ose plus les critiquer. C’est super compliqué. Objectivement, je trouve qu’ils ont toujours la même liberté. Après, il y a eu le 7 janvier, où quand même les trois quarts de la rédaction y sont passés – il faut se reconstruire, trouver une nouvelle équipe.
Que diriez-vous aux gens qui hésiteraient à venir à la Kulturfabrik ce vendredi ?
D’abord que ce spectacle permet de redécouvrir des dessins de Charb. C’est aussi lui donner toute sa pertinence intellectuelle, car c’était aussi un vrai politique et un vrai philosophe. On rigole bien aussi, de toute façon. Et puis ça permet de passer un bon moment quand on est athée. Il y aura aussi Marika Bret de Charlie pour un débat après. Et finalement, c’est la cinquantième représentation, donc il y aura un petit plus.