Sébastien Louis, spécialiste du supportérisme radical revient pour nous sur l’épisode du salut fasciste au stade Josy Barthel, lundi dernier et la présence d’un drapeau à l’effigie d’un collaborateur nazi.
Lundi, vous assistez au match Luxembourg-Ukraine. A un moment, l’hymne national ukrainien est joué. Que se passe-t-il ensuite?
Quelques minutes avant l’hymne national ukrainien, des supporters radicaux de l’équipe visiteuse accrochent un drapeau à l’effigie de Stepan Bandera, leader de l’OUN, aux couleurs rouge et noir. Ce personnage plus que controversé est une expression du nationalisme ukrainien. En dessous de ce drapeau, il était aussi possible de voir un symbole du secteur droit (Pravy sektor, un parti politique d’extrême droite et une milice paramilitaire). Puis, un individu s’est hissé sur le grillage et a effectué un salut fasciste au moment de l’hymne ukrainien. Ce drapeau est resté accroché toute la rencontre au grillage et il était extrêmement visible. Il était pourtant très facile de comprendre que c’était un drapeau politique.
Quelle a été la réaction des organisateurs ?
Personne n’a réagit. Les stewards ont été dérangés par le fait que cette personne s’est hissée sur le grillage, mais comme elle ne bougeait pas, malgré leurs injonctions qui lui disaient de descendre, ils ont abandonné. Puis au moment de l’hymne, je pense que très peu de personnes ont vu ce salut fasciste – qui a été répété à plusieurs reprises par l’individu en question – car la plupart regardait les joueurs.
Est-ce que vous avez contacté la FLF ?
Non, pas cette fois-ci, mais d’habitude, je préviens la FLF (Fédération luxembourgeoise de football, ndlr) sur ce genre d’incidents qui ne sont pas nouveaux et qui se multiplient au stade Josy Barthel de la part de fans étrangers. Le problème est le manque de formation des stewards, le personnel privé en charge de la sécurité de la rencontre. Il faut savoir que le règlement de l’UEFA est extrêmement clair à ce sujet. L’article 16 du règlement disciplinaire de l’UEFA – qui date de 2017 – est intitulé « Ordre et sécurité lors des matches des compétitions de l’UEFA ». Il dit que les clubs organisateurs et les associations organisatrices répondent de l’ordre et de la sécurité dans l’enceinte du stade et à ses abords immédiats avant, pendant et après les matches. Ils sont responsables de tout incident et sont passibles de mesures et de directives disciplinaires. Le point B précise que par la transmission par geste, parole, objet ou par tout autre moyen de tout message provocateur inadapté à un événement sportif, notamment de tout message provocateur de nature politique, idéologique, religieuse ou insultante ; ce qui était clairement le cas lundi.
Qui sont ces supporters ? Leur présence dans les matchs de foot au Luxembourg, est-elle un phénomène nouveau ?
Ces supporters radicaux ukrainiens sont venus spécialement de leur pays pour encourager leur équipe. Il faut comprendre que les supporters radicaux de ce pays, qu’ils soient hooligans ou ultras, sont des acteurs des événements qui ont bouleversé l’Ukraine depuis le 24 novembre 2013 avec l’Euromaïdan, puis la révolution, qui va chasser du pouvoir le président Ianoukovitch. Ces groupes de supporters des différents clubs du pays (Dynamo Kiev, Lviv, Shakhtar Donetsk…) qui ont longtemps été rivaux, décident de signer un pacte visant à enterrer la hache de guerre pour défendre leurs pays. Ils ont donc été des acteurs de cette révolution, en prenant part aux affrontements contre la police – ils disposent d’une expérience sur le sujet – en étant sur les barricades et par la suite, avec la guerre* dans le pays, certains vont s’engager dans des bataillons de volontaires pour se battre face aux séparatistes prorusses*. La plupart se retrouvent dans un courant politique qui va du nationalisme à l’ultranationalisme. Il n’est pas rare de voir des symboles d’extrême droite (croix celtique, croix gammée, le soleil noir) dans les tribunes contrôlés par ces supporters radicaux. Il y a cinq ans, le 15 novembre 2014, le Luxembourg avait déjà accueilli l’équipe nationale ukrainienne et déjà dans les tribunes avaient eu lieu plusieurs mises en scène politiques. Car les matchs de l’équipe nationale ukrainienne sont l’occasion de véritables rassemblements patriotiques pour nombre d’ukrainiens de la diaspora. Ce sentiment est redoublé par l’état actuel du pays et la guerre qui y fait rage à l’est.
Le gouvernement ukrainien ne semble pas prêt à combattre ce culte…
Il faut comprendre que l’Ukraine est un pays qui se cherche des symboles, qui construit son identité nationale. Pour ces supporters, comme pour une partie de la population, mais aussi pour une grande partie de la classe politique locale, cette mémoire nationale qui se forge se construit contre l’URSS, et la dialectique est anticommuniste. Par exemple, Stepan Bandera a été réhabilité pas uniquement par les militants ultranationalistes, mais par l’actuel gouvernement qui a fait de l’anniversaire de Bandera (le 1er janvier) une célébration nationale. Des rues, des statues à son effigie existent en Ukraine. Mais il faut aussi voir des choses plus positives. Ainsi, ce groupe de supporters radicaux venus de Lviv et qui a pris comme figure de référence le poète et humaniste Taras Chevtchenko, une figure emblématique de la littérature ukrainienne du 19e siècle. Cette banderole était présente aussi lundi, avec pour devise « Les amis de Taras ». Mais ces supporters sont sur des positions ultranationalistes.
Sébastien Louis, docteur en histoire contemporaine, spécialiste du supportérisme radical en Europe et en Afrique du Nord, est notamment l’auteur de Ultras, les autres protagonistes du football paru en 2017 aux éditions Mare et Martin.
* Cet article a été modifié. A la demande de Sébastien Louis, les expressions « guerre civile » et « sécessionnistes » ont été remplacées respectivement par « guerre » et par « séparatistes prorusses ».