Luxleaks : On lâche rien !

Tandis que le gouvernement préfère ignorer la question de l’implication de l’administration fiscale dans le scandale, le parquet s’acharne encore une fois contre les lanceurs d’alerte et le journaliste Édouard Perrin.

(Photo : woxx)

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Corruption ? Non ! Commentaires ? Non plus. Dans leur réponse commune aux questions des députés Déi Lénk Marc Baum et David Wagner sur les implications de l’administration fiscale dans le scandale Luxleaks, les ministres des Finances et de la Justice Pierre Gramegna et Félix Braz souhaitent surtout une chose : ne pas s’étaler sur la problématique et éviter que l’esclandre déclenché par les révélations d’Antoine Deltour et de Raphaël Halet ne les éclabousse trop. Pour cela, ils vont même jusqu’à mépriser le lanceur d’alerte Halet, en qualifiant ses déclarations – faites sous serment – de simples « hypothèses ».

Alors que, même si les déclarations de Halet étaient fausses, il serait dans leur plus grand intérêt de les vérifier. Car ce n’est pas de simples magouilles qu’on parle, mais bien de ce qui pourrait aussi être qualifié de « corruption active ». Rappelons que, selon l’ancien employé de PWC, l’auditeur possédait des papiers à en-tête de l’administration fiscale et s’occupait même du secrétariat et de l’archivage des « tax rulings » qui passaient par le bureau numéro 6 de l’administration fiscale.

Au lieu de rester dans le refoulement, le gouvernement ferait bien de clarifier les doutes sur les accusations de « corruption active ».

Tandis que, du côté des autorités gouvernementales, on tente de ne rien savoir de plus, le parquet ne voit pas les choses du même œil. À la surprise même des plus pessimistes, ce dernier vient donc de formuler un appel général à l’encontre des trois accusés. L’argumentation que ce geste répondrait au souci d’éviter tout « saucissonnage » est insensée : d’emblée l’accusation contre Édouard Perrin était fragile et frôlait l’absurde. Surtout parce qu’il n’est pas accusé en lien avec les révélations d’Antoine Deltour, mais seulement pour les documents que lui avait confiés Raphaël Halet. En ce sens, forcer le journaliste à retourner à la barre est une gifle pour la liberté de la presse et pour la culture de la transparence que de plus en plus de citoyennes et de citoyens revendiquent.

En ce qui concerne l’appel contre les deux lanceurs d’alerte, les choses se présentent sous un autre jour. Car le jugement n’est pas exempt de controverses. Pour faire bref, c’est un exercice d’équilibriste très osé entre, d’un côté, l’affirmation que les révélations Luxleaks étaient d’« intérêt public » et qu’elles ont servi à dénoncer des pratiques fiscales « controversées » et, de l’autre, le fait qu’il faut tout de même sanctionner les accusés au pénal. Qu’un tel jugement ne tienne pas la route, la presse internationale et certains eurodéputés membres de la commission spéciale « taxe » du Parlement européen, comme la pirate allemande Julia Reda, l’ont vite fait savoir.

Pourtant, l’essentiel n’est pas là. Certes, le Luxembourg va encore une fois se faire tirer les oreilles par la communauté internationale à cause de l’entêtement de son ministère public. Et les assurances ministérielles que désormais l’administration fiscale se tiendrait strictement au texte de loi créé ad hoc après le scandale ne calmeront pas les ardeurs de celles et ceux qui questionnent l’éthique de ces pratiques.

Non, l’essentiel c’est qu’entre-temps on ne regarde pas ailleurs, aux Pays-Bas par exemple, lesquels viennent d’accueillir à bras ouverts Fiat Chrysler, ou en Irlande ou au Delaware. Le Luxembourg est certes une cheville ouvrière de cette machination infernale qui redistribue l’argent du bas vers le haut de l’échelle sociale. Mais le but devrait être d’instaurer une justice fiscale au niveau mondial, et non de mettre à pied pour l’exemple une partie du système pour mieux continuer ailleurs. Dommage qu’en remettant le grand-duché au centre de l’attention, le parquet ait atteint l’effet inverse.


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