Nadine Labaki : Kill the Poor

Dans « Capharnaüm », troisième long métrage de Nadine Labaki, la réalisatrice libanaise aborde de front plusieurs thèmes lourds – en particulier l’enfance maltraitée. Le scénario manque toutefois de point de vue, faisant glisser le film sur une pente troublante.

Zain et Jonas, son frère de misère, avec qui il partage une vie tellement dépourvue de sens, que l’eugénisme apparaît comme une solution…

Zain (prononcez : Zè-ne) est un gamin des rues de Beyrouth, débrouillard et fort en gueule. Dans cette chienne de vie qui est la sienne, il essaie de survivre à force de petits boulots et de menus trafics. Ses bons à rien de parents ne l’aident pas beaucoup, eux qui n’ont même pas songé à déclarer leur ribambelle d’enfants et en ont fait des apatrides dans leur propre pays. Le seul rayon de soleil dans sa vie, c’est Zahar, sa sœur de 11 ans. Alors quand ses parents la vendent à l’épicier du coin, qui la convoitait depuis longtemps, Zain fugue.

Son errance dans les bas-fonds de la capitale libanaise va l’amener à côtoyer ce qui y grouille de meilleur comme de pire : passeurs prédateurs, marchands de sommeil, un Spiderman arménien octogénaire, une petite réfugiée syrienne au grand cœur. Et puis il va rencontrer Rahil, madone abyssine sans-papiers qui, la peur au ventre, craignant à tout moment d’être démasquée et expulsée, trime au jour le jour pour envoyer de quoi vivre à sa famille restée en Éthiopie, mais aussi pour nourrir Jonas, son fils d’un an né au Liban.

Dans son troisième long métrage, Nadine Labaki (« Caramel », « Et maintenant, on va où ? ») a essayé d’aborder de front plusieurs sujets très lourds, en tout premier lieu l’enfance maltraitée, mais aussi la misère des bidonvilles d’une métropole aux portes de l’Europe, le quotidien des immigré-e-s clandestin-e-s, celui des réfugié-e-s syrien-ne-s, les mariages forcés, la notion de frontière, le sens d’être parent… Le résultat est une œuvre dense, âpre et saisissante, mais aussi fourre-tout – d’où le titre d’ailleurs, puisque de l’aveu même de la réalisatrice, qui a aussi signé le scénario, ce film devait être « un capharnaüm ».

Le seul fil rouge est Zain, le personnage principal, qui se débat avec toute la force de la colère et de la révolte, mais aussi avec une humanité et un sens du devoir qui le poussent à se dépasser. D’abord pour le bien de Zahar, puis pour celui de Jonas, frère de hasard qu’il refuse d’abandonner. Zain crève l’écran, en grande partie grâce à l’interprétation de Zain al-Rafeea, recruté dans la rue. La plupart des acteurs et actrices du film ne sont pas des professionnel-le-s, jouant des rôles très similaires à ce qu’ils et elles sont dans la vraie vie. Le très grand mérite de Nadine Labaki est d’avoir réussi à en tirer une intensité sans fausse note.

Le point de vue est en revanche un problème. Comme dans la foison de thèmes abordés celui-ci fait défaut le film emprunte une pente qui le fait glisser vers le tire-larmes. Pire, il y a ce côté réflexions-sur-les-injustices-pendant-le-brunch-du-dimanche-matin-sur-la-corniche-de-Beyrouth, au détour desquelles on en vient à aborder candidement les vertus de l’eugénisme. Zain porte plainte contre ses parents pour l’avoir mis au monde alors qu’ils n’avaient pas les moyens de l’éduquer. Or, au tribunal, ceux-ci ne sont pas dépeints comme des monstres. Au contraire, ils sont eux-mêmes d’anciennes victimes qui reproduisent ce qu’elles ont vécu. Alors comment mettre un terme au cercle vicieux ? En stérilisant les pauvres ? Telle est implicitement la morale du film.

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