L’ASTM organise, la semaine prochaine, la projection du documentaire « Sin Dudas » (« Walang Alinlangan »), qui dénonce la culture d’impunité qui persiste dans les campagnes philippines.
C’est à travers le meurtre de Benjamin E. Bayles, défenseur des droits de l’homme tué en juin 2010 sur l’île de Negros, au centre de l’archipel des Philippines, que « Sin Dudas » s’approche de sa thématique principale : les meurtres extrajudiciaires et politiquement motivés, bien trop fréquents aux Philippines. Le cas de Bayles est emblématique.
Les victimes de ces meurtres sont avant tout des leaders de la société civile ainsi que des agriculteurs marginalisés et des paysans engagés qui ont eu le courage de défendre leurs droits à la terre et à la vie.
300 meurtres depuis 2010
D’après Human Rights Watch, 300 défenseurs des droits de l’homme ont été tués depuis 2010, dont 65 dans les premiers mois de 2015. Ces meurtres perpétrés principalement par des groupes militaires et paramilitaires ne font que rarement l’objet de poursuites judiciaires, et cela malgré les critiques de la communauté internationale.
Bayles était un leader paysan issu d’une famille rurale et pauvre. Par son engagement, il a régulièrement dénoncé les abus commis contre les petits paysans et les travailleurs agricoles de sa région par des membres de l‘armée philippine. En tant que membre d’une organisation locale de droits de l’homme, il a organisé des rencontres entre les familles des victimes et des conseillers juridiques affiliés à son organisation.
Il a aussi coordonné des missions d‘enquête sur les violations des droits de l‘homme des communautés reculées de la région et coordonné des campagnes contre les activités d’extraction minière. Il était aussi un membre actif du syndicat national des travailleurs de canne à sucre.
Quelques semaines avant son assassinat, l‘armée avait placé Bayles sous surveillance et avait commencé à le calomnier, modus operandi typique dans les cas de meurtres politiques.
Immédiatement après l’assassinat, les suspects ont été arrêtés et se sont présentés comme membres de l’armée philippine, ce qu’ils ont démenti après.
Des assassins membres de l’armée
L’enquête policière a lentement progressé et ce n’est que grâce aux recherches faites par la société civile que les véritables identités des suspects ont finalement pu être découvertes.
Mais le cas de Benjamin Bayles est aussi unique dans le sens où, parmi des centaines de meurtres extrajudiciaires aux Philippines, c’est la seule affaire dans laquelle les suspects – des membres de l‘armée philippine – ont été identifiés et arrêtés. Ils font désormais face aux accusations de meurtre dans un tribunal civil. Après six ans de procès, justice n’a toujours pas été rendue !
Le climat persistant de quasi-impunité contribue à ce que des assassinats politiques, des incidents de harcèlement, de menaces, de diffamation et de criminalisation des défenseurs de droits se perpétuent aux Philippines. Les meurtres du directeur d’une école pour jeunes indigènes et de deux leaders paysans à Caraga sur l’île de Mindanao en septembre 2015 démontrent une fois de plus que la situation est loin de s’améliorer.
Les communautés indigènes ciblées
Derrière ces meurtres politiques se trouve la priorité donnée à l’exploitation minière comme stratégie de développement, promue par le gouvernement philippin. Ce dernier, avec la loi minière de 1995, a créé des conditions extrêmement attrayantes pour l’industrie extractive, notamment en assurant aux entreprises la suppression de tout obstacle à leurs activités et l’accès à des territoires et aux ressources naturelles. Souvent, les habitants sont expulsés de leurs fermes et villages. Les communautés indigènes sont particulièrement affectées, étant donné qu’environ deux tiers de leurs terres ancestrales regorgent de ressources minières.
Ces activités minières ne sont pas sans conséquences sur l’environnement et la biodiversité. En effet, presque 50 pour cent des zones protégées sont actuellement touchées par des opérations minières.
Face aux expropriations et aux expulsions, la population locale organise sa résistance, appuyée par des organisations de droits de l’homme. Cette lutte pour leurs droits engendre des réponses souvent violentes, comme ce fut le cas pour Benjamin Bayles.
« Sin Dudas » au Citim, c’est mercredi
La projection de « Sin Dudas », en langue anglaise avec des sous-titres français, se déroulera le 8 juin à 18h30 au Citim (Centre d’information Tiers Monde) au 55, avenue de la Liberté à Luxembourg-ville.
Le documentaire a été réalisé par Roehl Jamon, professeur assistant au UP Film Institute, et produit par Ulrich Rotthoff, professeur assistant au Centre asiatique de l’Université Diliman des Philippines.
Ulrich Rotthof sera présent lors de la soirée pour répondre aux questions et pour animer un débat après le film.
Le prix d’entrée de 5 euros contribuera à couvrir les frais de diffusion du documentaire.