Économie et développement durable
 : Une responsabilité au-delà de ses frontières


Trois collectifs représentant une centaine d’associations et d’ONG demandent au futur gouvernement de joindre le geste à la parole en mettant en œuvre une politique économique qui ne soit pas en contradiction avec ses engagements sur le développement durable, les droits humains, l’aide au développement et la lutte contre le changement climatique.

Le 16 octobre, l’Initiative pour un devoir de vigilance manifestait place d’Armes, à Luxembourg, pour exiger une loi contraignant les entreprises au respect des droits humains et environnementaux, combat symbolisé par Lady Justice, une statue gonflable personnifiant le combat à l’échelle européenne. (Photo : Fabien Grasser)

« La main gauche ne doit pas faire le contraire de ce que fait la main droite » : l’image est claire et résume la problématique présentée, vendredi 3 novembre, par une centaine d’associations regroupées au sein de trois collectifs : le Cercle de coopération des ONGD, le groupe de travail « Finance durable » et l’Initiative pour un devoir de vigilance. Ils demandent au futur gouvernement de mettre en œuvre une politique économique qui ne soit pas, au niveau international, contre-productive à l’égard des engagements qu’il prend sur le développement durable, la lutte contre le changement climatique, le respect des droits humains par les entreprises et, plus largement, sur sa politique d’aide au développement. Le débat n’est pas propre au grand-duché et illustre le fossé grandissant entre les déclarations de bonnes intentions des gouvernements et leurs actions réelles, qui tendent avant tout à favoriser le modèle de la croissance et de la consommation, en faveur des profits des entreprises et des actionnaires (voir encadré).

La préoccupation de la société civile luxembourgeoise se veut d’autant plus fondée qu’elle part d’un double constat alarmant. Le premier est l’empreinte écologique catastrophique des résident-es du Luxembourg, calculée chaque année par l’ONG Global Footprint Network, qui établit un classement pays par pays. En 2023, le Luxembourg atteignait le jour de dépassement de la Terre le 14 février. Autrement dit, à ce moment, les habitant-es du pays avaient consommé la part des ressources annuelles disponibles qui leur reviendraient si elles étaient équitablement partagées. Il s’agit du deuxième plus mauvais score mondial, seul le Qatar faisant pire. À l’appui de son argumentation, le collectif avance un autre indicateur : le « spillover index » des Nations unies. Ce marqueur classe les pays en fonction de leur score de retombées, leurs actions pouvant avoir des effets positifs ou négatifs sur la capacité des autres nations à atteindre les objectifs du développement durable. Il prend en compte les impacts environnementaux et sociaux incorporés dans le commerce, l’économie et la finance, ainsi que la sécurité. Comme pour l’empreinte écologique, le résultat est sans appel pour le Luxembourg : il se classe à la 162e place sur 166.

Fin de non-recevoir

Parmi les points négatifs relevés par le spillover index pour le Luxembourg figurent, entre autres, l’exportation de déchets plastiques, les émissions de CO2 incluses dans les importations ou encore les effets négatifs des importations sur la biodiversité. À cela s’ajoute, peut-être avant tout, l’impact négatif de la place financière, les Nations unies épinglant aussi bien le transfert des bénéfices des multinationales vers le Luxembourg que, de façon plus générale, le statut de « paradis fiscal » que revêt le pays pour ces mêmes multinationales.

Pour porter leurs revendications, les trois collectifs voulaient obtenir une entrevue avec les groupes de travail du CSV et du DP chargés d’élaborer le programme de coalition du prochain gouvernement. Leur demande étant restée sans réponse, ils ont présenté leurs propositions au cours d’une conférence de presse le 3 novembre. « Nous sommes d’avis que le futur gouvernement luxembourgeois ne doit pas seulement s’occuper des thématiques d’importance nationale », souligne Jean-Louis Zeien, de l’Initiative pour un devoir de vigilance. « En tant que l’un des pays ayant la plus grande empreinte écologique au monde et en tant que membre du Conseil des droits de l’homme des Nations unies, le Luxembourg doit également assumer ses responsabilités internationales », appuie-t-il.

Le même soutient que sur la question du devoir de vigilance, à savoir le respect des droits humains et environnementaux sur l’ensemble des chaînes d’approvisionnement des entreprises, « une consultation des associations patronales comme l’UEL ou la Fedil ne peut en aucun cas être suffisante ». « Il faut donner un sens à des mots comme durabilité, afin que ce ne soit pas simplement du social-
washing et du greenwashing », poursuit Jean-Louis Zeien, pour qui « le Luxembourg doit être en cohérence avec les traités internationaux aux standards élevés ».

Plus d’armes et d’avions grâce au Green Deal

La directive européenne sur les matières premières critiques est sur le point d’être adoptée, mais aussi d’être allègrement détournée de son objectif initial, qui était d’assurer à l’Union européenne un approvisionnement sûr en matériaux indispensables à la transition énergétique. Ce dévoiement est le fruit d’un lobbying mené particulièrement par les industries minières, de l’armement et de l’aviation, selon une enquête conjointe de l’Observatoire des multinationales (Paris) et de Corporate Europe Observatory (Bruxelles). 
Dans cette étude intitulée « Du sang sur le Green Deal européen », les deux organisations rappellent d’abord que l’élaboration de cette directive, connue sous son abréviation anglaise CRMA (pour Critical Raw Material Act), s’est faite sans difficulté et dans un esprit transpartisan. « Présentée officiellement comme une législation pro-climat, la loi européenne sur les matières premières critiques s’est transformée en open bar pour les industriels les plus polluants et les plus problématiques », constatent cependant les auteurs. « Ils ont exercé un lobbying agressif pour s’assurer que les métaux qui les intéressent bénéficient du même soutien public et des mêmes dérégulations environnementales que ceux qui sont réellement utiles à la transition climatique. » Parmi les acteurs qui ont pesé sur le débat, l’enquête cite le français Safran, l’Européen Airbus ou encore l’Association des industries aérospatiales et de défense. Leur lobbying a été soutenu par le commissaire français Thierry Breton, la DG DEFIS (direction générale pour la défense et l’industrie spatiale) de la Commission européenne ainsi que des États membres comme la France et l’Espagne. Ce travail d’influence a sapé la directive, qui ne distingue pas les utilisations des matières premières critiques, en favorisant les usages « verts » au détriment, par exemple, de l’armement ou de l’aéronautique. « Prenant prétexte de l’urgence climatique, l’Union européenne s’apprête à signer un chèque en blanc aux compagnies minières et à des industries problématiques », déplorent les organisations.


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