Des actions qui choquent, une approche polarisante – la radicalisation du mouvement climatique est controversée. Elle tire aussi les conséquences des échecs antérieurs.
Le « green » transformé en zone protégée. « Déprédation » d’un terrain de golf par « Letzte Generation ». (Photo : © Jakob Schäfer)
Parlons climat. Il y a la sécheresse de ce printemps en Europe de l’Ouest, très probablement liée à la montée de la température moyenne. Un défi pour l’agriculture au Luxembourg… tandis qu’en Inde, une vague de chaleur cause des centaines de morts. Il y a aussi le « global stocktake », l’inventaire des engagements des États pour réduire les gaz à effet de serre. Publié avant la COP28 en fin d’année, il devrait clarifier la trajectoire catastrophique actuelle et la nécessité d’un sursaut dans la lutte contre le changement climatique. Il y a enfin la confrontation entre gouvernements et mouvements radicaux, avec notamment les nouvelles actions de « Letzte Generation » (« ultime génération »). Prenant pour cible des magasins de luxe et des jets privés, ce sont « les riches », responsables et bénéficiaires de l’inaction, qui sont visé-es. La radicalisation progressive du mouvement climatique ces dernières années, passant des grèves scolaires bon enfant instaurées par Greta Thunberg aux actions controversées avec de la colle instantanée de « Letzte Generation », favorisera-t-elle une prise de conscience ou au contraire un rejet au sein des sociétés du Nord global ?
Face au danger, solidement établi par la science, d’une destruction massive de la biosphère et des conditions de survie humaine, il est normal que de nombreuses personnes, notamment jeunes, éprouvent un besoin d’agir. Que des mesures simples en apparence, par exemple contre le gaspillage de nourriture, ne soient pas prises, génère de l’incompréhension. À l’origine de « Letzte Generation », il y avait précisément des actions de redistribution de nourriture jetée dans des conteneurs, visant à « sauver la bouffe, sauver des vies », tout en réduisant les émissions de CO2. Un arrêt immédiat des investissements dans des infrastructures pour énergies fossiles semble tout aussi évident – pourtant, en remplaçant le gaz russe par du gaz d’outre-mer plutôt que par un maximum d’énergies renouvelables, de nouveaux terminaux portuaires sont devenus « nécessaires ».
Marquage orange pour danger climatique : les jets privés sont une des cibles du mouvement climatique. (Copyright Jonas Gehring ; Letzte Generation)
On peut discuter l’opportunité tactique des actions de l’« ultime génération », mais exiger d’elle plus de retenue est absurde.
Sur fond de nouveaux rapports scientifiques alarmants, une polarisation se met en place : le mouvement climatique estime justifiées des actions plus radicales, auxquelles les États réagissent par la répression et les appels à la « raison ». Il est vrai que des formes d’action plus raisonnables existent, comme le travail de fourmi d’organisations comme le Mouvement écologique, ou les procès climatiques, avec récemment des jeunes attaquant l’État du Montana violant leur droit à un environnement propre et sain. Il est vrai aussi que ces formes d’action, utiles pour la sensibilisation, donnent peu de résultats concrets.
Quant aux négociations internationales, en cours depuis plus de trente ans, difficile d’accepter qu’elles continuent à être bloquées, avec notamment des promesses de financement climatique non tenues du Nord. Après l’échec des discussions à Bonn, se tiendra ce week-end un sommet pour un « nouveau pacte financier mondial ». On peut s’attendre à ce que, comme l’idée d’un marché carbone planétaire, ce pacte serve surtout à préserver les intérêts du bloc occidental à travers les crises climatiques et économiques à venir. Ensuite, la COP28 en fin d’année aura lieu dans le paradis pétrolier de Dubai – il ne faut rien en attendre. Pendant ce temps-là, les études continuent à être publiées, que ce soit sur la disparition de la banquise en été, sur l’urgence de sauver les glaciers ou la responsabilité historique du Nord. Le seul choix « raisonnable » est celui entre le désespoir et la rage. On peut discuter l’opportunité tactique de telle ou telle action de l’« ultime génération », mais exiger d’elle plus de retenue et la criminaliser comme « association de malfaiteurs » est absurde. Ce sont au contraire les États, les politicien-nes et les décideurs-euses, formant une association de malfaisance climatique, qu’il faut combattre.
