Implémentation du RGPD, visite de Mark Zuckerberg au Parlement européen : l’enjeu de la protection des données est en train de devenir réellement un instrument de pouvoir.
Selon une étude TNS-Ilres parue ce jeudi, 48 pour cent des sondé-e-s se disent plutôt préoccupé-es par d’éventuels abus de leurs données personnelles, tandis que 22 pour cent se disent très inquiets. 47 pour cent ont signalé que les récents scandales ont eu un impact sur leur comportement en ligne et un quart prévoient de supprimer un ou plusieurs comptes de réseaux sociaux. Ce qui est une bonne nouvelle en soi, car le problème de la protection des données commence avec l’inconscience des utilisateurs/trices. Très pratique aussi que la boîte de sondages vous laisse partager ses résultats sur Twitter en un clic seulement – joli gimmick, mais peut-être pas le bon endroit.
Car si les données personnelles sont le nouvel or noir du 21e siècle, ces derniers mois, on a assisté à la première marée noire virtuelle. Même si l’obscure firme Cambridge Analytica est désormais officiellement en faillite, rien n’empêche que d’autres boîtes proposent des services similaires, voire pires. Introduire une application sur Facebook, la manipuler pour engranger un maximum de données (même chez les utilisateurs qui n’ont pas cliqué sur l’appli) et puis cibler ces personnes pour influencer leurs opinions politiques et leur façon de percevoir le monde reste toujours possible. Et ce n’est pas en traînant Mark Zuckerberg devant le Parlement européen qu’on va l’empêcher à l’avenir.
Après tout, un réseau social ne vit que des informations qu’on veut bien lui donner.
Déjà, les préambules de cette audition en disent long sur le déséquilibre du pouvoir entre instances démocratiques et sociétés multinationales : ce n’est qu’après des pressions que Zuckerberg a accepté que son passage à Bruxelles soit filmé et mis en streaming… aussi sur le site Facebook du Parlement. Ce qui est un comble, quand on pense que le multimilliardaire américain, qui a bâti sa fortune sur les données des autres, ne veut pas qu’on voie comment il rend des comptes à un parlement. Et puis Zuckerberg, visiblement bien préparé, s’est contenté de resservir le même discours déjà rodé devant le Congrès américain : oui, il y a eu des fautes, on les a réparées et on ne nous y reprendra plus. Il a pointé vers de nouvelles intelligences artificielles qui détecteront plus vite les imposteurs et une politique plus stricte sur les applications admises sur son réseau social. Par contre, un bon nombre de questions des eurodéputé-e-s sont restées sans réponse – M. Zuckerberg y répondra plus tard, par écrit, et on peut dès maintenant deviner qu’il déléguera ça à son staff juridique.
Or comment savoir s’il était sérieux ? Le discours repentant et un brin autocritique n’est pas nouveau : Facebook et son fondateur le ressortent à chaque fois qu’un nouveau scandale est découvert. C’est donc du moins partiellement une pratique rhétorique plutôt qu’une vraie volonté de changer sa politique industrielle.
Surtout que Facebook vient d’annoncer une nouvelle mesure inquiétante : désormais, le réseau établira des liens entre les données de ses utilisateurs/trices et celles des utilisateurs/trices du service de messagerie WhatsApp (que Facebook possède aussi, tout comme la plateforme photographique Instagram). Une évolution qui inquiète d’autant plus que politiquement il n’y a rien à faire.
Si on ne peut pas arrêter le progrès et qu’il est illusoire de penser que tous les utilisateurs/trices vont supprimer leurs comptes, il faudra commencer à mieux se préparer à ce qui risque d’arriver à l’avenir. Et cela ne peut que passer par une prise de conscience des utilisateurs/trices de ne donner consciemment que les informations qu’elles ou ils veulent vraiment partager, et une surveillance efficace des réseaux sociaux, qu’on pourra sanctionner lourdement en cas de fraude. Après tout, un réseau social ne vit que des informations qu’on veut bien lui donner – il est temps de reprendre le contrôle.