Rétrospective « Crise des réfugiés » : Blocages, remous 
et solidarité


L’année 2015 a été, sans aucun doute, l’année de la « crise des réfugiés ». Alors que ceux-ci sont plus nombreux que jamais dans le monde, les autorités ont peiné à trouver des réponses adaptées. Une vague de solidarité sans pareille a été nécessaire pour amortir, en partie, les effets de cette crise.

Sur les côtes grecques comme au Luxembourg, ce sont des gens ordinaires qui ont fait la différence. (Photo : Carole Reckinger)

Sur les côtes grecques comme au Luxembourg, ce sont des gens ordinaires qui ont fait la différence. (Photo : Carole Reckinger)

Attentats, crises politiques, guerre – l’année 2015 fut une des plus troublées de la dernière décennie. Pendant que la guerre en Syrie entrait dans sa quatrième année, le monde voyait le nombre de déplacés, d’apatrides et de réfugiés exploser. Ils étaient près de 60 millions cette année.

Si la grande majorité des réfugiés dans le monde se trouve hors d’Europe, le Vieux Continent a vu, lui aussi, exploser le nombre de réfugiés souhaitant s’y rendre. Un million de personnes ont traversé la Méditerranée en 2015, selon le Haut Commissariat aux réfugiés des Nations unies. Difficile de dire exactement combien y ont trouvé la mort, mais, selon certaines sources, ils seraient près de 3.500. Depuis 2000, le nombre de morts en Méditerranée s’élèverait ainsi à près de 25.000 personnes.

2015 a connu ses premiers morts en Méditerranée début février, quand plusieurs bateaux pneumatiques ont disparu entre la Libye et Lampedusa. Le bilan : plus de 300 personnes noyées ou mortes de froid. En avril, deux autres drames d’une ampleur jusque-là inconnue ont alourdi le bilan. Près de 400 morts dans le détroit de Sicile, le 12 avril, et plus de 800 morts à mi-chemin entre la Libye et l’Italie, le 19 avril.

Qu’il ne s’agit là pas simplement de chiffres, mais de destins humains, sera brutalement rappelé en septembre quand les photos du petit Aylan Kurdi, retrouvé noyé sur une plage turque, feront le tour du monde. Ce sera le point de départ d’une vague de solidarité avec les réfugiés jamais vue en Europe et, pendant quelques jours, on pourra avoir l’espoir d’un changement dans la politique d’asile européenne.

L’Europe bloquée

Déjà en avril, le monde politique est bien obligé de réagir – et il le fait, bien que de manière hésitante. Un responsable est vite désigné : les passeurs, de véritables monstres à en croire les discours des responsables européens. Un plan d’action comportant, entre autres, un renforcement des moyens de l’opération Triton, destinée à secourir des migrants en difficulté en Méditerranée, mais aussi des moyens destinés à la lutte contre les réseaux de passeurs, est proposé par la Commission européenne à la suite des drames d’avril.

Si la lutte contre ces « réseaux mafieux » fait l’unanimité parmi la classe dirigeante européenne, le plan d’action de la Commission comporte aussi un autre point beaucoup moins consensuel : la relocalisation de quelques dizaines de milliers de réfugiés, afin de venir en aide aux pays situés aux frontières extérieures de l’Europe. Un sujet qui occupera les politiques tout au long de l’année, car certains pays, tels que la Hongrie ou la Pologne, font barrage.

Le bilan est plus que décevant : sur les 160.000 demandeurs d’asile que les États membres s’étaient mis d’accord pour répartir, seulement 184 auraient finalement profité du « mécanisme de relocalisation » au 16 décembre. Même constat pour les autres mesures décidées au cours de l’année : sur les onze « hot spots » qui auraient dû être mis en place, principalement en Grèce et en Italie, afin de « faire le tri » entre bons et mauvais migrants, seuls deux ont vu le jour.

En revanche, un rapprochement avec la Turquie est opéré dans la foulée : à la manière de la Libye du colonel Kadhafi, la Turquie d’Erdogan est en passe de devenir une sorte de bassin collecteur pour les réfugiés que l’Europe ne « peut pas » accueillir (voir Regards).

À la suite des attentats de Paris en novembre, certains pays durcissent leur politique en matière d’accueil, à l’image de la France dont le premier ministre soutient que « l’Europe ne peut pas accueillir plus de réfugiés ». D’autres n’ont pas attendu les attentats : la Hongrie commence dès le mois de juin avec la construction d’un mur antiréfugiés à la frontière avec la Serbie, pays par lequel transitent de nombreux migrants.

Le Luxembourg accueille

Au Luxembourg, le gouvernement adopte, dès le début de ce qu’on appellera la « crise des réfugiés », une posture plus ouverte, plus accueillante. En février, Jean Asselborn et Corinne Cahen annoncent une série de mesures destinées à accueillir de la meilleure façon des personnes qui ont, pour la plupart, traversé de nombreux pays en fuyant la guerre. « Sans ses immigrés, le Luxembourg ne serait pas ce qu’il est », déclare Jean Asselborn.

Le ministre des Affaires étrangères joue un rôle clé au niveau européen. Muni de sa longue expérience et de son habituelle bonne humeur, il sera sur le devant de la scène pendant les six mois de la présidence européenne et ne cessera de marteler les bienfaits de Schengen et le devoir moral des pays européens à accueillir des réfugiés.

Au pays, c’est Corinne Cahen qui s’occupe de l’accueil. Mettant en avant un certain humanisme, elle sera sur tous les fronts. En avril, voyant l’« afflux massif » venir, Corinne Cahen et le ministre de l’Intérieur Dan Kersch lancent un appel aux communes grand-ducales afin de mettre à disposition l’infrastructure nécessaire à l’accueil. L’Église catholique, en la personne de l’archevêque Jean-Claude Hollerich, lance un appel aux paroisses, mais aussi à ses fidèles, pour mettre à disposition des autorités des logements vides.

Ainsi préparé, le Luxembourg est moins pris de court par la « vague » de réfugiés qui arrive que d’autres États européens. En juillet, le nouveau foyer de premier accueil « Lily Unden » est inauguré au Limpertsberg. Il remplace le « Don Bosco » et dispose de 120 lits. Face au nombre croissant de réfugiés, le hall 6 de Luxexpo est transformé en centre d’« accueil avant l’accueil » : avant d’être transférés vers le foyer Lily Unden, les arrivants passeront 48 heures au Kirchberg. L’ancien centre de logopédie à Strassen et l’ancienne maternité du CHL deviennent à leur tour des centres d’accueil improvisés.

L’installation de véritables villages de conteneurs à travers le pays est décidée en septembre. Non sans provoquer les remous habituels : à Steinfort par exemple, une initiative citoyenne contre le village de conteneurs prévu voit le jour. À Bridel, la construction d’un foyer est provisoirement stoppée suite à des plaintes d’une trentaine d’habitants de la commune.

La « crise des réfugiés » s’accompagne – forcément ? – d’un certain climat de haine et d’intolérance, qui s’exprime surtout sur l’internet. En Allemagne, mais aussi ailleurs, une recrudescence d’actes racistes est à constater. Les foyers de réfugiés incendiés se comptent par dizaines, sinon par centaines. Au Luxembourg, le racisme semble pour l’instant se limiter aux commentaires haineux sur les réseaux sociaux.

Toujours au grand-duché, les trois quarts des résidents sont favorables à l’accueil des réfugiés. C’est du moins ce qu’indique un sondage réalisé par TNS-Ilres sur demande du ministère de la Famille.

Si ceux qui se disent prêts à aider concrètement sont un peu moins nombreux, le Luxembourg aussi connaît son élan de solidarité. Hormis les associations déjà existantes qui, depuis des mois, sont aux limites de leurs capacités, bon nombre d’initiatives de solidarité voient le jour. Là encore, les réseaux sociaux jouent un rôle important : ils permettent à des gens qui n’ont jamais été engagés au sein des organisations traditionnelles de nouer des contacts, de s’informer sur les possibilités d’action et de se coordonner.

La société civile comble les lacunes

Des groupes tels que « Refugees Welcome Luxembourg », « Refugee Support Luxembourg » voient le jour sur initiative de personnes privées. L’Office luxembourgeois d’accueil et d’intégration (Olai) dit recevoir près de 50 appels par jour de personnes souhaitant devenir actives, d’une manière ou d’une autre.

Quand une cinquantaine de réfugiés syriens arrive au Luxembourg dans le cadre du programme de relocalisation de l’Union européenne, ils sont des dizaines à les accueillir, devant le foyer de réfugiés à Weilerbach, pancartes « Welcome to Safety » à la main.

Tandis que les organisations de jeunesse de quasiment tous les partis – hormis la jeunesse de l’ADR, bien entendu – revendiquent une politique d’asile européenne plus humaine et en appellent à la responsabilité historique des dirigeants de l’Europe, c’est encore sur initiative d’une personne privée qu’une manif aura lieu au Kirchberg, le 14 septembre.

Que ce soit à travers l’expo sous forme de bureau d’immigration fictif « Euphobia », installée place du Théâtre à Luxembourg-ville, ou le documentaire « Mos Stellarium », retraçant les parcours de jeunes demandeurs d’asile au Luxembourg – des réalisateurs Karolina Markiewicz et Pascal Piron -, le monde culturel et artistique se mobilise à son tour. Tout comme les ONG et les associations de défense des droits humains, qui multiplient les appels et les actions.

Des Luxembourgeois sont aussi actifs ailleurs : ainsi, un groupe de bénévoles collecte habits et médicaments pour les habitants de la « Jungle » de Calais. D’autres décident de se rendre là où l’urgence est significativement plus grande encore qu’au Luxembourg, à l’instar de ce groupe de jeunes qui a décidé d’emprunter la « route des Balkans » avec trois fourgons remplis de produits de première nécessité. Ou de ces deux étudiants luxembourgeois qui comptent parmi les instigateurs du « Train of Hope », organisant l’accueil de réfugiés arrivant à la gare centrale de Vienne, et qui se sont vu décerner le Prix des droits de l’homme 2015.

Si 2015 a donc été l’année de la crise des réfugiés, elle a aussi été l’année de la société civile européenne. Partout là où les autorités ont peiné à trouver une réponse adaptée à l’urgence de la situation, ce sont des bénévoles qui ont comblé les carences. Alors que les dirigeants européens ont failli à trouver des réponses adaptées à l’urgence de la situation, l’histoire retiendra que ce sont les gens ordinaires qui ont fait la différence.


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