Revis : Le meilleur des mondes possibles

Que l’ancienne législation sur le RMG était défaillante est un fait connu – pourtant, le Revis réformé en conserve des tares au détriment des personnes les plus précaires, ce qui ne semble pas gêner la ministre de la Famille.

Photo : Wikipédia

Pour bien saisir ce qui se passe, il faut revenir un peu en arrière et quitter temporairement la thématique. Le 19 décembre, l’ancien et nouveau premier ministre luxembourgeois Xavier Bettel donne une interview sur la radio publique 100,7 dans laquelle il prononce cette phrase plutôt surprenante : « Le storytelling est toujours correct » – une phrase que les journalistes ont mise en exergue, et pas pour rien. Car la notion de storytelling en politique n’est pas connotée positivement. Au contraire, comme le décrit l’écrivain français Christian Salmon dans son livre de 2007, « Storytelling, la machine à fabriquer et à formater des esprits » – dans lequel il dissèque comment les méthodes de marketing ont infecté la communication politique –, le storytelling supplante le raisonnement rationnel. Nous sommes donc en présence d’un premier ministre qui pense que la politique se résume à raconter de bonnes histoires.

Et il ne semble pas être le seul. Dans une réponse à une question parlementaire sur le Revis posée par le député pirate Sven Clement, la ministre de la Famille Corinne Cahen donne un parfait exemple de storytelling servant à évacuer de réels problèmes, tout en narrant une autre histoire qui contredit les faits évoqués par le jeune parlementaire. S’inquiétant du phénomène bien réel de réfugié-e-s et autres personnes fragiles accueilli-e-s chez des privés ou vivant en colocation sans payer de loyer – parce que souvent, c’est ça ou la rue – qui après un an perdent leur droit au Revis et sont donc condamné-e-s à la précarité, Clement demande entre autres si la ministre envisage d’amender sa réforme pour éviter de pareils cas.

Dans sa réponse, Cahen commence d’emblée par endosser le rôle de donneuse de leçons et explique au député (comme au public) comment le Fonds national de solidarité (FNS) définit la communauté domestique. C’est donc en racontant sa propre loi que la ministre esquive. Car c’est justement le traitement de certains dossiers par ledit FNS qui pose problème. Quand la bureaucratie détermine qui a le droit de recevoir les subventions et qu’il s’agit souvent de personnes précaires (réfugié-e-s, mais aussi personnes sortant d’une longue période carcérale, voire de retour d’une thérapie), elle n’est pas toujours clémente. Surtout si c’est son rôle d’estimer si la personne en question a fait assez d’efforts à ses yeux pour se chercher un autre logement.

Photo : Pixabay

La politique se résume à raconter de bonnes histoires.

Ce qui fait aussi que dans le cas d’une colocation, chaque personne dans la communauté de ménage doit avoir son propre contrat de bail – même si une personne n’a pas les moyens de contribuer à payer le loyer. Une absurdité dans la loi qui explique aussi que le modèle de colocation n’est toujours pas aussi populaire au Luxembourg qu’ailleurs, alors que simplifier la colocation ou même la soutenir serait une mesure contre la crise du logement. Le pire étant que c’est une revendication de longue date du secteur social et des organisations de jeunesse : donner un accès plus souple aux subventions pour celles et ceux qui pourraient bénéficier du Revis. En même temps, l’accord de coalition actuel prévoit bien de simplifier la sous-location et la colocation – mais probablement pas en faveur des plus pauvres.

Résumons donc : face à une réelle injustice créée par sa propre réforme, la ministre fait la leçon, reraconte sa loi et en vient à la conclusion que « le gouvernement est d’avis que la mesure (…) de la loi Revis est une disposition adaptée et équitable ». En d’autres termes : nous vivons dans la meilleure société possible et celles et ceux qui mettent en avant des dysfonctionnements ont décidément des problèmes de vue. C’est pourquoi il est tellement important de ne jamais prendre une parole de politicien-ne pour argent comptant.


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