Sur le brûlant dossier des retraites, le gouvernement fait mine de ne pas avoir de position prédéfinie. Mais à bien y regarder, il ressort de l’accord de coalition qu’il veut renforcer les assurances privées au détriment du régime public par répartition. En mars, la ministre de la Sécurité sociale a échangé avec le patronat sur ce sujet, notamment avec les assureurs, qui veulent apporter leur pierre à une réforme dont ils pourraient tirer de juteux profits.
L’accord de coalition et rien que l’accord de coalition : c’est en ces termes que la ministre de la Sécurité sociale, Martine Deprez, a justifié le lancement des consultations sur l’avenir du système de retraite, le 4 octobre dernier. En entonnant l’air du « nous disons ce que nous faisons et nous faisons ce que nous disons », la ministre CSV veut donner à ses projets un vernis démocratique qu’ils n’ont pas. Lors des législatives d’octobre 2023, personne n’a voté pour un accord de coalition, mais pour des programmes politiques, dont aucun ne mentionnait une réforme du régime général des pensions du secteur privé, pas même ceux du CSV et du DP, désormais au pouvoir. Le gouvernement explique son revirement en convoquant des prévisions selon lesquelles les pensions versées seront supérieures aux entrées (les cotisations) à partir de 2027, rendant à terme le régime déficitaire. Ces projections alarmistes, les mêmes depuis des décennies, sont contestées par les syndicats.
À entendre Martine Deprez, le gouvernement n’a aucune religion sur le sujet et se présente en arbitre neutre entre partenaires sociaux, société civile et population, également sollicitée pour s’exprimer sur le dossier. Mais quand elle cite l’accord de coalition, elle se garde de rappeler que le chapitre « Assurance pension » stipule aussi, avec un art consommé de la litote, « la possibilité d’une promotion accrue du deuxième et troisième pilier de prévoyance vieillesse ». Autrement dit, les pensions complémentaires privées mises en place par les entreprises (deuxième pilier) et celles payées directement par les salarié·es qui en ont les moyens (troisième pilier). Pour booster ce système, le gouvernement jouera sur les impôts : « La déductibilité des dépenses spéciales et des charges extraordinaires sera rendue plus avantageuse et flexible, y compris le traitement fiscal des pensions vieillesse complémentaires », indique l’accord de coalition au chapitre « Fiscalité des personnes ». Il est donc intéressant de voir ce que dit le budget 2025 à ce sujet. La déduction annuelle maximale de 3.200 euros, en vigueur depuis 2017, reste inchangée. Preuve, sans doute, que la coalition avance à pas feutrés sur ce dossier aux allures de champ de mines social.
Mais il avance. Ces derniers mois, la ministre a échangé sur le dossier avec les organisations patronales, qui plaident pour une baisse des prestations. Le 7 mars, elle a vu les représentant·es de l’UEL, au Cercle Munster, pour parler de « la nécessité de garantir la soutenabilité financière du système de pension », selon le registre des entrevues des ministres, mis en ligne par le gouvernement. Le même jour, elle a entendu la direction de la Chambre de commerce sur le sujet.
Et au cours de cette journée décidément chargée, l’association professionnelle des assureurs et réassureurs (ACA) lui a fait part de ses souhaits : les assureurs sont « disposés à présenter leurs solutions actuelles en matière de régime complémentaire de pension en vue de leur évolution », indique le registre des entrevues. Étant donné leur position de premiers pourvoyeurs d’assurances pension privées, l’on voit assez bien dans quel sens les assureurs voudraient voir souffler le vent.
La coalition avance à pas feutrés sur ce dossier aux allures de champ de mines social. Mais il avance.
Le LCGB et l’OGBL, qui font front commun dans cette bataille, avertissent depuis des mois sur le « no-go » que représente, pour eux, une dégradation du régime général (le premier pilier) en faveur d’assurances privées, soumises aux aléas des marchés financiers et génératrices d’inégalités. Mais les syndicats n’ont pas pu faire part de leur position à la ministre au cours d’une entrevue particulière, comme en a bénéficié le patronat. Ils n’ont pas été reçus une seule fois sur les pensions en amont du lancement de la consultation officielle. Une question de priorité qui en dit long sur la trajectoire que le gouvernement veut imposer sur ce dossier. En toute neutralité…