Consacré à Lance Armstrong, légende désormais mise au ban du cyclisme mondial, « The Program » cherche à décortiquer les mécanismes d’un dopage érigé en doctrine. Faute de choisir un point de vue précis, le film perd néanmoins de son impact.
On l’avait quitté sur un « Philomena » tout en nuances et en subtilité. Revoilà Stephen Frears avec un biopic flamboyant sur le septuple vainqueur américain du Tour de France – lequel s’est d’ailleurs vu retirer en 2012 tous ses titres obtenus depuis 1998. Confié à John Hodge, le scénario est inspiré du livre « Seven Deadly Sins: My Pursuit of Lance Armstrong » du journaliste David Walsh. Celui-ci a, pendant plusieurs années, mené l’enquête sur les pratiques de dopage dans le cyclisme et en particulier sur le système mis en place par Armstrong avec l’aide du sulfureux docteur italien Michele Ferrari. Une enquête qui n’a pas été de tout repos, puisque Walsh s’est non seulement heurté à la loi du silence du milieu cycliste, mais aussi aux doutes de ses collègues, voire de son propre journal, le « Sunday Times ».
Première constatation, Frears a opté pour un traitement particulièrement hollywoodien. Ben Foster, qui joue Armstrong, s’est fait la tête de son personnage et redouble d’efforts pour l’incarner dans toute sa complexité : menteur, tricheur, mais aussi rescapé d’un cancer qui consacre une partie de ses gains à une fondation qui soutient les malades, capable de bouleverser un programme minuté pour passer un moment auprès d’un enfant mal en point. Le travail de mélange d’images d’archives et de scènes reconstituées est aussi très minutieux (l’ex-coureur professionnel David Millar a été mis à contribution comme consultant). L’accentuation des moments de tension par la musique est également au programme, comme dans tout biopic de facture classique qui se respecte. Et, évidemment, le tout est saupoudré de quelques réflexions philosophiques au bord d’un gouffre empli d’eau en pleine nature, parfait endroit pour l’introspection du personnage principal.
Frears, qui sait proposer un cinéma subtil, aurait-il donc cédé aux sirènes californiennes ? Voire. Au fil du film, on se surprend à penser cette histoire d’ange déchu comme une métaphore de la société américaine : un glaçage parfait d’harmonie et de bonheur partagé – comme les images léchées à l’écran – sur un fond inavouable d’inégalités et de domination – cette sombre histoire de dopage.
Est-ce trop prêter d’intentions au cinéaste britannique ? Peut-être, car il trébuche sur plusieurs points. D’abord l’énervante prestation de Guillaume Canet en Dr Ferrari, avec un accent italien qui confine au ridicule ; en voilà au moins un qui n’incarne pas son personnage à la façon de l’Actor’s Studio. Et puis surtout, le scénario mélange les points de vue : difficile certes d’adapter un livre d’enquête, mais on ne suit du début à la fin ni Armstrong dans son entreprise systématique de tricherie, ni Walsh dans ses investigations, ni Floyd Landis (ex-coéquipier d’Armstrong qui a fait la lumière sur les pratiques de son leader auprès de l’Agence antidopage américaine) dans son dilemme entre culpabilité et trahison. Comme si Frears n’avait pas su – ou voulu – choisir.
Au générique final, sur la chanson « Everybody Knows » de Leonard Cohen, le spectateur se perd en conjectures. Qu’a vraiment voulu faire le cinéaste de ce film ? Tout le monde sait désormais, effectivement, alors quel point de vue a-t-il voulu offrir en plus ? Si les adeptes de la petite reine auront sûrement leur dose de plaisir, les autres resteront probablement sur leur faim. Il est fort à parier que la lecture du livre de David Walsh les intéressera plus.