Théâtre : En votre âme et conscience

C’est à une expérience théâtrale un peu particulière qu’invite le Centaure dans sa dernière création de l’année : avec « Terreur », le public devient jury le temps d’une pièce. Condamner ou acquitter ? Une plongée parfois glaçante dans les affres de la responsabilité.

La parole est à la défense : Jules Werner dans le rôle de l’avocat. (Photos : Bohumil Kostohryz)

Sur chaque siège, spectatrices et spectateurs découvrent le matériel nécessaire à la prise de notes. Puis un bulletin est distribué : à l’issue de la représentation, il faudra cocher une des deux cases et déclarer l’accusé coupable ou non coupable. Déjà les remarques fusent, les conversations se nouent et le stratagème fonctionne : le public se glisse dès le départ dans son rôle. À la croisée du théâtre documentaire et du théâtre participatif, la pièce de Ferdinand von Schirach (ici dans une traduction française de Michel Deutsch) va pendant presque deux heures plonger la salle dans l’atmosphère d’un procès. Celui de Lars Koch, officier de la Bundeswehr, qui a abattu en plein vol un avion de ligne avec 164 personnes à bord, qu’un terroriste avait lancé vers un stade occupé par 70.000 fans.

La limite de temps, bien entendu, ne permet pas de rendre tous les débats contradictoires. Aussi le dramaturge se concentre-t-il sur les étapes clés : l’acte d’accusation, les interrogatoires du prévenu, d’un témoin et de la partie civile, ainsi que le réquisitoire et la plaidoirie. Quelques rappels épars de droit par le président du tribunal viennent également éclairer le public si nécessaire. D’où peut-être un petit sentiment de frustration, puisqu’on se prend vraiment au jeu et qu’on a envie d’en savoir plus pour décider du sort de l’accusé. Cela dit, malgré sa concision, le procès est rendu avec beaucoup de verve par l’auteur, et les questions qui fusent permettent de passer par des phases de doute salutaires. On ressent à plein la pression qui pèse sur les épaules des jurés, on hésite, on se forge une opinion fragile encore.

Pour donner vie à ce texte très travaillé, les costumes de Christian Klein jouent la carte de la neutralité, tandis que la mise en scène de Myriam Muller donne juste ce qu’il faut de mouvement pour éviter tout statisme. Quoique justement, c’est grâce à son immobilité que Brice Montagne, dans le rôle de Lars Koch, parvient à donner corps à son personnage de façon magnifique : lors de son interrogatoire, c’est avec les inflexions multiples de la voix qu’il révèle peu à peu sa personnalité, brossant en filigrane le portrait d’un militaire non réductible à un simple rouage de l’appareil sécuritaire omniprésent dans notre société. Car ce procès, c’est évidemment aussi celui de notre acceptation (ou non) de la « guerre contre le terrorisme »…

Les autres comédiens ou comédiennes (Joël Delsaut, Fabienne Elaine Hollwege, Brigitte Urhausen, Raoul Schlechter et Jules Werner) sont également très justes dans leurs interprétations, offrant de beaux moments de joutes oratoires. À la fin, lorsque la lumière revient et qu’il faut se décider, les langues se délient et la communication s’établit entre spectatrices et spectateurs, quelque peu mal à l’aise devant leur responsabilité. Une discussion salutaire, car comme l’exprime bien l’auteur à travers l’avocat de la défense, « le monde n’est pas un séminaire pour étudiants en droit ».

Didactique mais pas trop, véritablement immersive, « Terreur » est vraiment une expérience de théâtre à vivre intensément. Et s’il vous prend l’envie de savoir comment le public a voté lors de chaque représentation dans le monde, un site fascinant est disponible : terror.theater.

Au Théâtre du Centaure, les 15, 17, 18 et 19 juin à 20h ainsi que les 16 et 20 juin à 18h30 ; la saison prochaine, le 18 octobre au Kinneksbond et les 23 et 24 octobre au Kulturhaus Niederanven.

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