Théâtre : La galaxie de la perte

« Rabbit Hole », la nouvelle production du TOL, s’empare d’un sujet rarement traité au théâtre : le deuil. Véritable montagne russe d’émotions, la pièce ballotte le public entre rire et larmes avec beaucoup de sensibilité.

Une chambre d’enfant, un couple en deuil : Colette Kieffer et Jérôme Varanfrain dans « Rabbit Hole ». (Photos : Ricardo Vaz Palma)

Au début, il y a cette conversation quasi anodine entre sœurs. Izzy raconte à Becky une rixe dans un bar, où elle a frappé une femme. Puis au détour d’un mot de trop, d’une allusion appuyée, de la révélation de sa grossesse enfin, elle provoque la crise qui couvait. Car Becky a perdu son fils Danny il y a quelques mois, et si elle est désormais prête à donner les vêtements de celui-ci à la Croix-Rouge, elle n’avait pas prévu la douleur de voir sa sœur tomber enceinte. D’autant qu’Izzy, au caractère fantasque, vient juste de commencer une relation amoureuse. Belle entrée en matière que cette première scène, où l’écriture de David Lindsay-Abaire (récompensé en 2007 par le prix Pulitzer de la meilleure pièce) installe l’atmosphère avec un verbe sûr et efficace. Tout est déjà en place : on sent, on sait que l’on a affaire à une famille où les non-dits vont se voir porter à la surface.

Comme pour assener encore plus le coup de poing de l’accident mortel de Danny sur le public, le décor de Jeanny Kratochwil propose une jolie chambre d’enfant au mignon papier peint animalier. C’est là qu’évoluent Izzy et Becky, mais aussi Howard, le mari de cette dernière, qui se raccroche au souvenir de son fils au moyen de vidéos tout en essayant de raviver la flamme de son couple. Plus tard y débarqueront Nat, la mère des deux sœurs, et Jason, l’adolescent dont la voiture a heurté le petit Danny.

Au fil de la pièce et des dialogues, toujours incisifs, vont se tisser des parallèles entre les actions des protagonistes et entre les deuils. Puisque deux deuils il y a : Arthur, le frère héroïnomane d’Izzi et Becky, s’est suicidé à l’âge de 30 ans. Pas de comparaison, s’insurge Becky, entièrement consumée par ses souvenirs. Mais la vie doit continuer, et c’est aussi pour ça que résonnent sur scène une ironie mordante ou un humour décalé qui n’aura jamais mieux mérité son surnom de politesse du désespoir. Devant la douleur de la perte, chacun reste seul et doit se reconstruire dans sa relation aux autres. C’est ce lent processus et la constellation des réactions de ses personnages que David Lindsay-Abaire raconte, servant des moments de profonde tristesse et d’autres de joie franche ou nerveuse. Comme une symphonie en plusieurs mouvements, où l’on passe par toutes les émotions. Parce qu’on rit aussi beaucoup sur ce sujet grave, dans une pièce qui concilie pudeur, retenue et grain de folie occasionnel.

L’interprétation de cette partition par Colette Kieffer (Becky) et Jérôme Varanfrain (Howard) est splendide, tant l’alchimie fonctionne entre eux : elle droite dans ses bottes de prêtresse du temple élevé à son fils, lui effondré à l’intérieur mais conscient qu’il faut continuer. Leurs scènes de ménage et leurs réconciliations donnent le diapason nécessaire aux autres protagonistes, Caty Baccega (Izzy), Monique Reuter (Nat) et le jeune Romain Gelin (Jason).

La metteuse en scène et directrice du TOL Véronique Fauconnet (assistée par Dana Calimente) a pris le parti du réalisme, d’un certain naturalisme même, en multipliant notamment les accessoires. Comme une boutade, elle évoque la difficulté d’une telle prouesse dans un théâtre sans coulisses en disant que le dramaturge n’a pas pensé au TOL en écrivant la pièce. Il aurait dû, pourrait-on répondre : si près de la scène, au point de voir respirer, renifler et, pour les premiers rangs, de pouvoir toucher actrices et acteurs, on entre encore plus dans la vie de ces personnages. Ils deviennent d’autant plus proches de nous mentalement qu’ils le sont physiquement. Une écriture vive et une interprétation charnelle à voir séance tenante.

Au Théâtre ouvert Luxembourg, le 31 octobre et les 8, 13 et 23 novembre à 19h, les 1er, 9, 14, 15, 21 et 22 novembre à 20h ainsi que le 10 novembre à 17h30.

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