À partir de la série « Talking Heads » d’Alan Bennett pour la BBC, le TOL avait déjà proposé en 2017 un spectacle intitulé « Moulins à paroles ». Il récidive au studio du Grand Théâtre avec trois autres histoires saisissantes.
Nouvelle édition, nouveaux textes, nouvelle équipe. Les « Moulins à paroles » du Théâtre ouvert Luxembourg version 2021 se situent bien dans la tradition des précédents, puisqu’ils regroupent trois monologues du dramaturge britannique savamment découpés afin de créer un entrelacs de récits.
Trois ans après une première édition marquante, on était donc en droit de se demander si la réussite serait à nouveau au rendez-vous ou si une impression de déjà-vu n’allait pas s’installer. Mais dès les premières phrases, l’écriture de Bennett déploie son charme, et on plonge immédiatement dans la mémoire de ses personnages : il y a là Doris, qui cultive le souvenir de son défunt époux en maugréant sur sa femme de ménage, Graham, pris dans une relation de vieux garçon avec sa mère, et Leslie, actrice à l’empathie surdimensionnée en mal de reconnaissance. Elles et lui se confient entièrement, dévoilant par là leurs angoisses et leur mal-être. Très complémentaires, leurs histoires illustrent trois facettes d’une même solitude au beau milieu des autres. Et ces vies minuscules exposées sur scène rejoignent évidemment les nôtres, faisant de l’expérience autant une plongée intérieure qu’un exercice de voyeurisme, mais toujours avec humour et tendresse.
Pour cette nouvelle exploration des « Moulins à paroles », le théâtre a choisi de changer une équipe qui gagne et de faire tourner ses effectifs. Une bonne idée en définitive, puisqu’elle offre à Mahlia Theismann sa première mise en scène (assistée à la dramaturgie par Anna Arnould-Chilloux et aux costumes par Noëmie Cassagnau), dont la jeune habituée des plateaux locaux en tant qu’assistante s’acquitte avec succès. De ces monologues statiques, elle tire peu à peu, au moyen de trois « boîtes à paroles » où se cantonnent d’abord acteur et actrices, un ensemble de mouvements qui s’accentuent au fil de la pièce, soulignés par les succès des charts britanniques des années 1980. Visuellement, on ne s’ennuie pas : un début prometteur, assurément.
Bien entendu, l’interprétation des personnages est pour beaucoup dans la réussite du spectacle. Si Céline Camara (Leslie), déploie des tonnes d’énergie et de vitalité, arpentant le plateau et assurant le show même lorsqu’elle n’est plus sous les projecteurs, les jeux plus intérieur et subtil de Jean-Marc Barthélemy (Graham) et plus statique mais grinçant d’humour noir de Monique Reuter (Doris) proposent un contraste qui permet de diversifier les émotions, d’autant que la mise en scène leur ménage pauses et accélérations. À ce titre, on sent que le découpage des monologues a été effectué avec un soin tout particulier, pour insuffler un rythme qui tient en haleine tout au long de l’heure et demie de représentation.
Ces nouveaux « Moulins à paroles » sont donc une belle réussite, à un moment où retourner dans les salles de spectacle – pour combien de temps encore ? – peut procurer un élan salvateur face au découragement résultant de la crise sanitaire. De quoi donner l’idée d’une troisième partie dans une saison à venir. Chiche ?