La place de Paris est sans doute l’endroit le plus urbain de Luxembourg. Sa rénovation est l’occasion d’accentuer son identité.
Beaucoup de monde, la semaine passée, à l’anachronique salle des fêtes de l’église du Sacré-Cœur, où Lydie Polfer, bourgmestre de la ville de Luxembourg avait convié les gens du quartier pour une consultation citoyenne en amont de la rénovation de la place de Paris, prête pour accueillir le tramway.
La salle est divisée en deux camps : celui des anciens et celui des nouveaux résidents. Assis au milieu, costard-cravate et dynamiques, Franz Fayot, député socialiste, et son ami Gabriel Boisante, patron du resto-bar « Paname », rendez-vous des jeunes Français employés des cabinets d’audit, des « big4leurs » et autres salariés de la « place ». Autour d’eux une population presque exotique, tant elle ressemble à celle d’un village : les habitants de longue date. Une fracture comme la racontent les films de Govinda Van Maele, et si caractéristique du Luxembourg.
Sur les grandes tables autour desquelles tout le monde est assis, des plans de la place de Paris avec les futures voies : deux pour le tramway (une pour monter, une pour descendre) ainsi qu’une voie unique qui descend, destinée aux voitures. D’ici quelques années, plus aucun bus ne roulera avenue de la Liberté ; ils passeront tous par l’avenue de la Gare. Du mobilier urbain actuellement visible, qu’il s’agisse des cabines téléphoniques, du transformateur électrique ou des cache-pots côté ouest, ou des bancs, des lampadaires et de la fontaine côté est, tout disparaîtra. Le revêtement du sol sera lui aussi remplacé. De même, on sait déjà que les arbres rue Bourbon seront retirés puis éventuellement remis à leur place : tout est possible dès lors que la place de Paris fait peau neuve.
Une division à faire oublier
Il y a toutefois certaines contraintes, à commencer par la forme triangulaire de la place de Paris – ses angles durs, même si (et en fonction du point de vue) certains bâtiments comme l’ancien hôtel de Paris (coin rue Bourbon–avenue de la Liberté) trompent l’œil en indiquant un aménagement circulaire. Ensuite, la place est divisée en deux par l’avenue qui la traverse : en une grande place, qui en été accueille les terrasses des cafés, et en un îlot difficilement attribuable et qui en plus penche du côté de la rue d’Anvers (la rénovation prévoit d’égaliser les niveaux). Quoi qu’il en soit, il sera difficilement possible de faire disparaître cette division autrement que de façon symbolique – par exemple, grâce à un habillage uniforme du sol (et de la voie ?) d’un côté comme de l’autre de l’avenue.
C’est pourtant ce dont rêve Franz Fayot, qui exige un passage souterrain pour les voitures et donc un espace enfin unifié (le contraire du LSAP, en somme). L’idée n’est pas nouvelle, mais des études réalisées à ce sujet ont montré qu’il faudrait pour cela passer en souterrain dès la place des Martyrs… Gabriel Boisante, qui ne dispose pour l’instant que d’une rangée en terrasse, songe, lui, à un agrandissement de l’îlot, par exemple en supprimant la prolongation de la rue d’Anvers… qui sert de stationnement aux livreurs ! Plus loin dans la salle, un monsieur se plaint du bruit dans cette même rue, qui sert de petit chemin aux conducteurs pressés de rejoindre l’autoroute d’Esch ou d’en revenir. « C’est de la place de Paris elle-même qu’il est question ce soir », rappelle Lydie Polfer, tandis que Laurent Schwaller, du service coordination des espaces publics de la Ville, rassemble les post-it des intervenants sur un tableau.
Une dame réclame plus de « convivialité » : rendre aux « piétons » la place de Paris ! Une place, idéalement, « polyvalente ». Avec « un maximum d’arbres ». Un « kiosque » et des « concerts » ! Des « bancs disposés en groupe », une « aire de jeu » ainsi que des « toilettes publiques ». Mais des toilettes gardées par une « dame », exige une habitante du quartier. « Ou par un monsieur », suggère la bourgmestre Lydie Polfer. C’est tout pareil pour cette habitante, tant qu’il y a quelqu’un pour empêcher qu’on entre à plusieurs dans les toilettes : « Soss wësse mer fir wéi e Geschäft et ass. »
Un quartier en mutation
Le quartier de la Gare a longtemps été le quartier chaud de Luxembourg, celui des boîtes de nuit, des prostituées et des rixes nocturnes entre toxicomanes. Et si cela demeure vrai en partie, le quartier est en mutation et se prépare aujourd’hui à accueillir les évadés du Brexit. Place Wallis, à quelques pas de la place de Paris, la dernière boîte de nuit vient de céder la place à une agence immobilière. Rue du Fort Neipperg, les danseuses fumant sur le seuil des portes jettent des regards médusés sur le chantier de rénovation du parking. Peu à peu, Luxembourg-Gare redevient le quartier riche et représentatif qu’il fut jadis.
La « place de l’Éventail », comme l’actuelle place de Paris s’appelait à l’origine, marquait la frontière entre la ville de Luxembourg, qui s’était lancée dans le réaménagement de l’ancien plateau Bourbon et de ses ouvrages militaires démantelés d’un côté et le village de Hollerich, qui y prenait fin, de l’autre. Frontière encore visible de nos jours dans le rétrécissement de l’avenue de la Liberté à partir de la sortie sud de la place de Paris, comme l’a expliqué Robert Philippart. C’est aussi ce qui fait de la place de Paris un aboutissement géographique, une célébration, comme pour dire adieu à la ville qu’on s’apprête à quitter en empruntant la partie inférieure de l’avenue de la Liberté (liberté au sens large !) pour embarquer à bord d’un train au pied de la tour du bâtiment de la Gare qui, dans l’axe exact de l’avenue, ne cesse d’attirer à lui celui ou celle qui la descend.
Des « places de Paris », il y en a partout dans le monde : en France (beaucoup), à Berlin (Pariser Platz en souvenir de l’occupation de la capitale française durant la campagne de France), au Québec, en Israël (à Haïfa, en honneur aux ingénieurs français constructeurs du métro, ou encore à Jérusalem, où elle est la place principale du centre-ville)… Au Luxembourg, la place de Paris, avec ses 6.000 m² et bien que précédée de deux autres places qui portent des noms de villes (Bruxelles et Metz), répond clairement à une volonté de citer la substance architecturale de la capitale française aimée, où traditionnellement l’élite luxembourgeoise allait étudier le droit, les arts et la vie.
Frenchitude
L’influence haussmannienne de certains bâtiments est indéniable, et aussi rares qu’ils soient, ils font impression : toits mansardés à la française, fenêtres hautes et étroites… Ce sont eux qui donnent à la place de Paris ce sentiment d’urbanité, qui est le résultat d’une construction dense combinée à un aménagement généreux des espaces, à de grandes surfaces continues qui permettent un usage multiple, en vue de kermesses, de marchés, etc. Les nombreux cafés et restaurants ajoutent à cette impression d’urbanité. Ils lui donnent aussi son identité.
Parmi ceux-ci, le « Bistrot de Paris », au charme désuet des années 1970, résiste en bastion des habitants de longue date. Plus loin, le « Metropolitan » attire depuis récemment une population jeune et internationale, dans un décor à la fois parisien et décontracté. Enfin, de l’autre côté de l’avenue, le susmentionné « Paname », clin d’œil d’initié à la Ville Lumière, parfait cette image d’une place qui serait en train de devenir secrètement le symbole de la présence française au Luxembourg. Les habitants sont déjà majoritairement des Français, suivis des Portugais et des Luxembourgeois – un aspect à prendre en compte lors de la rénovation de la place, tout comme le passé très journalistique du quartier qui accueillait le Luxemburger Wort et la Revue et qui accueille toujours le Journal, le Land et le woxx.
On imaginerait bien la place de Paris, une fois revêtue des deux côtés de l’avenue d’un sol uniforme et perceptible, jouer de ces significations multiples à travers un mobilier urbain choisi : bancs à l’ombre des platanes, kiosque à journaux, bassin d’eau fraîche humidifiant l’air tout en étouffant le bruit des voitures, sculptures… Car aujourd’hui, la place respire difficilement, surtout en été. Le regard du promeneur est constamment pris dans les parasols. Et si on construisait un fossé pour les terrasses afin de rendre au promeneur l’occasion d’admirer la beauté du lieu ? L’avenue de la Liberté est une ivresse continue, qui exprime avant tout une chose : une envie de partir. Aujourd’hui, plus que jamais, les gens restent.