CONTRA: « La situation humanitaire a dépassé toutes les bornes »

Michel Legrand : Si nous avons manifesté pacifiquement et dignement dans les rues de Luxembourg samedi dernier, c’est parce que nous avons voulu d’abord, au-delà de toute option partisane, exprimer notre émotion et notre indignation face aux centaines de morts et aux milliers de blessés qu’entraînent depuis la fin du mois de décembre 2008 à Gaza les affrontements d’une extrême violence entre les forces armées israéliennes et les groupes armés palestiniens dont le Hamas. Si le Hamas a une responsabilité dans les événements, il est trop facile, comme le font certains gouvernements européens et plus encore Israël, de lui en faire porter toute la responsabilité, et d’occulter ainsi les principaux tournants des dernières années et tout autant une situation d’occupation qui dure depuis 42 ans. Quoi qu’il en soit, nous condamnons énergiquement des opérations militaires aériennes et terrestres qui, vu la densité de la population de Gaza, ne peuvent, en aucun cas, ni éviter, ni limiter des pertes énormes au sein des populations civiles (les 1,4 millions de Gazaouis vivent sur un territoire qui équivaut exactement à 1/7e du Luxembourg), la destruction de maisons, de mosquées, d’écoles, de l’université, du parlement palestinien à Gaza ; aucune morale, même la morale de guerre, ne peut justifier ces formes d’autodéfense. Elles sont clairement condamnées par le droit international, dont la 4e convention de Genève.

Les Palestiniens n’ont-ils pas raté une occasion, à un moment où Israël avait commencé à faire certaines concessions, en n’empêchant pas les agressions par les roquettes tirées sur la population civile israélienne ?

Sans refaire l’historique de ces événements présents, nous voudrions rappeler quelques tournants qui ont contribué à radicaliser la situation d’ensemble au Proche-Orient ainsi qu’à Gaza et à préparer les événements présents. D’abord, le retrait unilatéral des colons et de l’armée israélienne de Gaza, qui n’a été ni préparé ni accompagné par une concertation entre Israël et l’autorité palestinienne ; ensuite les élections de 2006 qui ont été saluées dans le monde entier comme entièrement démocratiques ; mais aussitôt, les résultats de ces élections ont été refusés parce qu’ils portaient le Hamas au pouvoir ; la décision de boycotter non seulement le Hamas mais l’ensemble de l’Autorité palestinienne a suivi tout aussi rapidement. Le tournant suivant s’est produit quand, malgré les efforts énormes qui avaient permis de mettre sur pieds un gouvernement d’unité nationale, l’Europe, les Etats-Unis et Israël n’ont pas reconnu ni soutenu ce gouvernement. Tout cela a contribué à alimenter les tensions et les conflits entre Palestiniens. La suite et le résultat partiel de ce qui précède a été la prise de pouvoir du Hamas à Gaza. Tout au long de ce processus de dégradation et de radicalisation de la situation, l’enfermement de Gaza par Israël s’est transformé en un véritable blocus et Gaza est devenue la prison à ciel ouvert dont on a tant parlé ; mais, à la différence des autres prisons, Gaza est une prison boycottée et affamée.

Est-ce que l’objectif d’affaiblir le Hamas ne facilitera pas une solution politique du conflit ?

Au-delà de ces tournants récents,
restent toujours l’occupation, qui s’est durcie au cours des dernières années, et la colonisation qui continue malgré toutes les promesses non tenues d’Israël. Nous avons déjà fait part publiquement de tous ces éléments qui permettent de comprendre l’aggravation générale de la situation. Ceci nous conduit à dire, avec beaucoup d’observateurs et d’analystes de la situation, qu’il est inutile, et surtout illusoire de vouloir éliminer le Hamas ou faire sans lui, quoi que l’on pense de lui : il est un acteur incontournable qu’il faudra rencontrer, directement ou indirectement et avec lequel il faudra discuter directement ou indirectement. Mais plus on attend, plus ce sera difficile, vu sa radicalisation que les stratégies américaine, israélienne et européenne ont contribué à produire.

On vous accuse de ne protester que lorsque les Palestiniens sont en train de souffrir. Ne voyez-vous pas la peur des Israéliens face à certains qui nient même le droit d’existence de leur Etat ?

Le CPJPO a toujours reconnu le droit à l’existence de l’Etat d’Israël. Dans notre charte, nous nous opposons clairement à toute forme et toute source d’action terroriste à l’égard des populations civiles, qu’elles viennent de groupes armés palestiniens, de l’Etat d’Israël lui-même, d’individus isolés palestiniens ou israéliens (colons, etc…). Nous proposons aussi comme objectif la paix et la sécurité pour les deux peuples. Cependant, aujourd’hui, la situation humanitaire à Gaza a dépassé toutes les bornes. Lorsque l’ONU et l’UNWRA elles-mêmes, sinon la Croix-Rouge, ne peuvent même plus jouer leur rôle le plus fondamental et lorsque des membres de leur personnel sont atteints par les armes israéliennes, c’est une nouvelle limite qui est franchie de manière insupportable et inacceptable. Par ailleurs, aux dires mêmes de représentants de l’ONU sur place, plusieurs massacres opérés depuis le début de cette « guerre » et encore tout récemment, relèveraient clairement de la catégorie de « crimes de guerre » sinon de « crimes contre l’humanité » et que ce genre de crimes relève du tribunal pénal international et doit conduire à la condamnation pénale de leurs responsables.

Quelles sont vos revendications à la communauté internationale, à l’Union européenne et à notre gouvernement en particulier ?

Nous soutenons les initiatives en cours qui devraient amener les belligérants à un cessez-le-feu, à une trêve rapide et à la recherche d’un modus vivendi qui pourra durer, mais qui ne pourra durer que s’il est juste et que s’il inclut la levée du blocus dont Gaza est l’objet depuis 20 mois. Dans cet esprit, nous demandons avec insistance au gouvernement luxembourgeois, de son propre chef et en tant qu’Etat membre de l’Union européenne, de peser de tout son poids pour faire cesser immédiatement les massacres et les violences de part et d’autre, pour que le Hamas cesse d’envoyer des roquettes sur le sud d’Israël, pour qu’Israël retire ses troupes de Gaza et pour soutenir les initiatives diplomatiques et politiques qui ouvrent sur une trêve juste et à long terme.

Voyez-vous des chances pour trouver un terrain d’entente qui va permettre de relancer le processus de paix ?

Il s’agira d‘?uvrer à la réconciliation et à la coopération des principaux mouvements et partis palestiniens et à la concertation de tous les acteurs impliqués, y compris le Hamas. D’autre part il faudra conditionner la coopération avec Israël au respect par cet Etat du droit international et des droits de l’Homme. Israël devra s’engager politiquement et diplomatiquement de manière résolue pour que cessent l’occupation et la colonisation des territoires palestiniens et de Jérusalem ainsi que la construction du mur, et que puisse être constitué un Etat palestinien en accord avec les nombreuses résolutions des Nations Unies. C’est l’une des conditions sine qua non pour atteindre une sécurité réelle et une paix durable entre les deux peuples. La communauté internationale devra d’autre part soutenir la création d’une commission indépendante qui enquête sur les massacres de populations civiles qui constitueraient des crimes de guerre sinon des crimes contre l’Humanité ainsi que sur l’utilisation d’armes prohibées ou de nouvelles armes nocives et mortelles pour les populations civiles.

Brûler des drapeaux israéliens, appeler à la mort des Juifs ? ne devrait-on pas éviter de telles exactions ?

C’est évident. Et nous avons tout fait pour contrôler les messages et les actes. Nous avions constitué et formé un service d’ordre de plus de vingt personnes. A mesure que des groupes non luxembourgeois se joignaient à la manifestation, nous avons rencontré leurs leaders et les avons invités à manifester avec calme et dignité, en évitant tout slogan ou pancarte qui établissent des amalgames ou des accusations que nous avons toujours refusés. Pendant la manifestation, autant que nous le pouvions, nous avons cherché à couvrir par notre message les slogans que nous refusions. Il avait été dit clairement que nous nous opposions radicalement au fait de brûler un drapeau israélien. Lorsque, après la dislocation de la manifestation, un petit groupe a mis le feu au drapeau israélien, plusieurs membres du CPJPO et moi-même avons fait ce qu’il fallait pour éteindre ce feu. Aucun service d’ordre, dans les villes où de telles manifestations ont eu lieu, n’a été à même de tout contrôler. La police de Luxembourg elle-même, qui a très bien rempli sa tâche, nous a félicité pour notre encadrement. Nous avons pu éviter les excès qui ont terminé plusieurs manifestations en Europe. Par ailleurs, l’émotion et l’indignation légitimes sont particulièrement fortes dans le c?ur des populations arabes qui vivent dans la Grande Région, comme dans les grandes villes de France. Tout en leur disant que nous partagions cette émotion et cette indignation, nous avons parlé avec eux et essayé de leur faire comprendre que tout excès se retournerait contre leur propre image, contre la réputation de notre Comité dans la population luxembourgeoise, et finalement, contre les objectifs que nous défendons : la fin des opérations et des massacres, des tirs de roquettes, une trêve… Enfin, si nous comprenons aussi le sentiment d’insécurité des populations israéliennes du sud et si nous soutenons des solutions qui, à terme, produiront la paix et la sécurité pour les deux peuples, aujourd’hui et d’ici là, ce sont les Palestiniens qui sont occupés et de plus en plus colonisés depuis 42 ans. Dans aucune analyse, il ne faut perdre de vue cette donnée de base, que négligent trop souvent de rappeler beaucoup de médias.

Michel Legrand est président du « Comité pour une Paix juste au Proche-Orient »


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