Demandes d’asile : La crise s’installe dans la durée

En 2016, le nombre d’arrivées de demandeurs de protection internationale n’a que peu baissé. En 2017, il semble croître à nouveau. Avec tous les problèmes que cela implique.

Le profil des nouveaux arrivants a changé, c’est ce qu’affirment Asselborn et Cahen. (Photo : Wikimedia)

2.035. C’est le nombre de demandeurs de protection internationale qui sont arrivés au Luxembourg en 2016. 400 de moins que pendant l’année précédente d’« afflux massif », mais toujours près du double du nombre d’arrivées de 2013 et de 2014. Malgré l’accord entre l’Union européenne et la Turquie, conclu en mars 2016, la « crise des réfugiés » semble donc perdurer. En 2017 aussi : pendant les deux premiers mois de l’année, il y a eu plus d’arrivées que pendant les deux premiers mois de 2016 – 522 entre le début de l’année et le 10 mars. Même si en mars, on semble assister à une diminution drastique du nombre d’arrivées. « L’afflux n’est pas fini », a rappelé la ministre de l’Intégration Corinne Cahen, à l’occasion d’une conférence de presse conjointe avec le ministre de l’Immigration Jean Asselborn, vendredi dernier.

D’ailleurs, l’Olai (Office luxembourgeois de l’accueil et de l’intégration) enregistrerait plus d’arrivées dans ses structures : ainsi, en 2016, 2.474 personnes auraient été enregistrées. D’où cette différence provient-elle ? « Les nouveaux arrivants sont tenus de déposer une demande de protection internationale auprès de la Direction de l’immigration endéans les 24 heures, mais certains repartent avant », a expliqué Cahen. Ainsi, en février 2017, 280 personnes seraient arrivées dans les structures – et 132 auraient fait le choix de repartir sans poser de demande. Une pratique qui serait, selon des concernés, indirectement encouragée par les agents de la Direction de l’immigration : en leur signalant que de toute façon, leurs chances de se voir accorder l’asile seraient minimes voire inexistantes, on pousserait certains – dont beaucoup de « cas Dublin » – à repartir ailleurs.

Parmi les nouveaux arrivants, d’autres populations que celles des deux dernières années : contrairement à 2015 et 2016, les Syriens ne forment plus le contingent le plus important. En tête, en février 2017 : les demandeurs d’asile en provenance de la Serbie, suivis tout de même par ceux de Syrie, puis du Maroc, d’Algérie et d’Albanie. Les arrivants viendraient donc majoritairement de « pays sûrs », même si, Asselborn l’a souligné, une étude au cas par cas s’impose néanmoins.

« L’afflux n’est pas fini. »

Par ailleurs, 80 pour cent des arrivants de 2017 seraient des cas dits « Dublin », qui ont donc déjà demandé l’asile dans un autre pays européen, y ont essuyé un refus ou y sont toujours en procédure, et ont décidé de changer de pays d’accueil. Ce qui est « tout à fait légal », comme l’a rappelé le ministre, mais ne donne pas le droit à la protection internationale au Luxembourg. Même s’il existe des cas où les règlements Dublin ne sont pas appliqués : les Syriens ayant donné leurs empreintes digitales en Hongrie ou en Grèce n’y sont pas renvoyés par principe. En cause : un manque de garanties en termes de droits fondamentaux et de procédures.

Pour les demandeurs d’asile en provenance de « pays sûrs » et pour lesquels il n’y a que peu de chances de remplir les critères de la convention de Genève donnant droit à la protection internationale, une procédure « accélérée » et une procédure « ultra-accélérée » sont mises en place. Ainsi, une décision concernant les personnes en provenance des Balkans est prise par la Direction de l’immigration endéans les quatre jours. Une décision contre laquelle les concernés peuvent toutefois introduire un recours – suspensif – endéans les six jours. « En quatorze jours, la procédure est terminée », a expliqué Asselborn.

Pour les « Dubliners », qui constituent donc la grande majorité des arrivées actuelles, un centre de rétention « ouvert » – c’est ainsi que l’a appelé Asselborn – est mis en place à Luxexpo, au Kirchberg, là où se faisait le premier accueil jusque-là. Une structure semi-ouverte, où sont « logées » les personnes en attente d’un transfert vers un autre pays européen, surveillée 24 heures sur 24 par des agents de sécurité et placée sous la supervision du centre de rétention du Findel. Un encadrement psychosocial y serait assuré et les habitants ne seraient tenus d’y séjourner que pendant la nuit – en cas d’infraction, ils seraient transférés au « vrai » centre de rétention.

« Qu’on soit Irakien, Syrien ou Afghan, chaque dossier est examiné à titre individuel. »

« On n’est pas en tête du classement, mais nos résultats sont satisfaisants », a dit le ministre à propos des programmes de relocalisation, décidés au niveau européen, et à leur mise en œuvre au Luxembourg : de 557 personnes à relocaliser au Luxembourg, 278 l’ont été, 279 sont encore à accueillir jusqu’à la fin de l’année. Parmi eux, environ la moitié viendra de Grèce, l’autre moitié d’Italie. D’ailleurs, ce mercredi, 52 personnes en provenance de Grèce sont arrivées au Luxembourg. Sur les 190 personnes se trouvant actuellement en Turquie et à accueillir dans le cadre d’un programme de réinstallation, décidé lui aussi au niveau européen, 92 ne l’ont pas encore été. « Le Luxembourg a fait ses devoirs », a répété Asselborn à la Chambre des députés lors de sa déclaration sur la politique étrangère, ce mardi.

La conférence de presse de vendredi a aussi été l’occasion, pour le ministre, de revenir sur les accusations dont a pu faire l’objet son ministère dans le passé. « Il y a eu des rumeurs selon lesquelles les demandeurs de protection internationale en provenance d’Irak seraient presque systématiquement déboutés. » Des rumeurs sans fondement pour le ministre, puisque le taux d’acceptation des demandes d’asile de personnes originaires d’Irak et ne tombant pas sous les règlements Dublin serait de 79 pour cent au Luxembourg, tandis qu’en Belgique il ne serait que de 50 pour cent et en Finlande de 25, à titre d’exemple. 40 pour cent des Irakiens arrivés en 2016 auraient toutefois été des cas « Dublin ».

« Qu’on soit Irakien, Syrien ou Afghan, chaque dossier est examiné à titre individuel », a souligné le ministre de l’Immigration. « Nous appliquons différents critères pour les personnes en provenance d’Irak : celles appartenant à des minorités religieuses, des femmes célibataires, des personnes appartenant à la communauté LGBTI, des journalistes, des défenseurs des droits de l’homme, des mineurs non accompagnés, mais aussi des personnes venant de régions à risque, toutes sont acceptées. »

« Le Luxembourg a fait ses devoirs » en matière de relocalisations, a déclaré Jean Asselborn devant la Chambre, ce mercredi. (Photo : CHD)

Néanmoins, l’ambiance parmi les demandeurs d’asile irakiens au Luxembourg est mauvaise et se détériore au fil de procédures excessivement longues. Déjà en février 2016, une quarantaine de personnes en provenance d’Irak avaient manifesté devant la Direction de l’immigration pour demander une accélération des procédures. Depuis, pas grand-chose n’a changé. Certains d’entre eux disent attendre depuis bientôt un an et demi une décision de la Direction de l’immigration les concernant.

« Nous avons accordé la protection internationale à 764 personnes et la protection subsidiaire à 26 personnes. »

« Les dossiers irakiens sont compliqués », a dit Jean Asselborn vendredi. La Direction de l’immigration aurait dû faire face à un volume de demandes beaucoup plus élevé que d’habitude, et aurait d’ailleurs travaillé « beaucoup plus vite » que d’autres années. Dix personnes auraient été embauchées en 2016 ; parmi elles, cinq universitaires aptes à conduire des interviews. 2.319 décisions ont été prises en 2016. « Nous avons accordé la protection internationale à 764 personnes et la protection subsidiaire à 26 personnes », a énuméré le ministre. Les années précédentes, le nombre d’attributions de protection internationale n’aurait jamais dépassé les 200. « En 2017, nous en sommes déjà à 153 décisions positives. »

Mais une décision positive ne signifie pas que les personnes en question quittent les structures d’accueil – c’est ce qu’a pointé du doigt une fois de plus Corinne Cahen. « Nous avons, dans nos structures, environ 800 bénéficiaires de la protection internationale, qui ont donc le statut, mais qui ne trouvent pas de logement. » Une fois leur statut accordé, ces réfugiés deviennent des résidents à part entière et ne relèvent plus de la responsabilité de l’Olai, qui gère les structures d’accueil. Ils sont donc pris en charge par les offices sociaux des communes où ils résident. Dans la recherche de logement, ils sont traités comme tout résident – et peinent donc autant que les autres à trouver leur bonheur, surtout que souvent, ils bénéficient, dans un premier temps, du RMG et ne connaissent que peu de monde.

Les offices sociaux traditionnels étant parfois dépassés par la situation, un service social ambulant, le Lisko (Lëtzebuerger Integratiouns- a Sozialkohäsiounszenter), conventionné par le ministère de la Famille et géré par la Croix-Rouge, a été mis en place en juin 2016. Un service qui « fonctionne de manière excellente », s’est réjoui Corinne Cahen. Mais qui ne peut pas remédier à une situation somme toute catastrophique sur le marché du logement. Car si Cahen a loué la bonne collaboration entre les différents ministères en termes de gestion de la « crise des réfugiés », un sursaut de solidarité comme on l’a vu en 2015 face aux débuts de l’« afflux massif » reste souhaitable en termes de gestion de la crise du logement aussi.


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