En quatre décennies, le Festival des migrations et de la citoyenneté est devenu un « rituel » qui contribue à changer la perception des communautés immigrées au Luxembourg. Pour le Clae, organisateur de la manifestation, la culture joue un rôle central pour tisser des liens et lutter contre le racisme et les discriminations. La 41e édition de l’événement se tiendra les 24 et 25 février à Luxexpo The Box.
Plus de 400 stands associatifs, de la gastronomie, des spectacles, des conférences, un salon du livre, des expos et des dizaines de milliers de visiteuses et visiteurs : chaque année, le Festival des migrations et de la citoyenneté est un vaste défi logistique et organisationnel. « Il y a toujours mille choses à régler en une journée », reconnaît Alain Randresy. « Mais la question logistique est finalement ce qu’il y a de plus simple, car on trouve toujours une solution », ajoute le chargé de projets interculturels au Comité de liaison des associations d’étrangers (Clae), organisateur de la manifestation.
Créé à l’aube des années 1980, le Festival des migrations a pour ambition de présenter les cultures issues des différentes migrations, de les faire se rencontrer, de créer des espaces de partage qui se pérennisent dans la durée, au-delà du week-end pendant lequel se déroule l’événement. Bref, de créer du lien entre communautés plutôt que de cultiver leur entre-soi.
« Nous travaillons sur le réel, ce qui implique la prise en compte de l’actualité aussi bien nationale qu’internationale », souligne Alain Randresy. Il rappelle qu’il y a deux ans, l’irruption de la guerre en Ukraine, avec l’arrivée de réfugié-es au Luxembourg, a bousculé la programmation du festival. Cette année, la guerre à Gaza s’impose dans l’actualité et sera l’objet de deux conférences. Ou encore les élections sociales et européennes à venir, pour lesquelles le Clae veut mobiliser l’électorat, « car nous sommes pour une citoyenneté engagée ». « On compare souvent le festival à de l’événementiel, il y a cette idée arrêtée d’un espace à envahir sur un temps court. Mais ce que nous faisons, c’est définitivement autre chose que de vendre des saucisses », ironise Alain Randresy, mobilisé à l’année pour l’organisation de la manifestation.
Un rituel de la vie luxembourgeoise
La 41e édition du festival se tiendra les 24 et 25 février prochains à Luxexpo The Box. « C’est une parenthèse, une bulle et un espace très joyeux, où on a l’impression de rencontrer le Luxembourg qu’on n’a pas l’occasion de côtoyer habituellement », décrit Anita Helpiquet, chargée de direction au Clae. Pour des populations souvent invisibilisées, le festival permet, le temps d’un week-end, « de redresser la tête, de regagner une certaine dignité, de recharger les batteries pour le reste de l’année », poursuit-elle. « C’est un rituel qui s’est installé dans la vie luxembourgeoise et il fait bouger les lignes sur la perception des immigrés », affirme la chargée de direction. À ses yeux, le Festival des migrations est un événement qui infuse en profondeur tout au long de l’année, sans que cela soit forcément visible.
Pour autant, selon elle, le festival demeure un objet d’incompréhensions par un certain nombre d’acteurs politiques. Au mieux, ceux-ci y voient un simple événement festif et, au pire, une incitation au communautarisme. « Nous ne sommes pas du tout du côté du communautaire, nous sommes du côté de la citoyenneté. Nous nous appuyons sur la diversité des expressions culturelles pour faire relation et non pour créer des communautés. Nous avons beaucoup travaillé sur les questions d’identité et nous insistons sur le métissage. Il y a des conceptions d’identité qui sont fermées, repliées, d’autres qui sont ouvertes, et ce sont ces dernières que propose le festival », atteste Anita Helpiquet.
Nouvelles formes d’expression
Si le Festival des migrations est devenu un « rituel », il est aussi un formidable observatoire des migrations au Luxembourg, ainsi que des dynamiques associatives qu’elles portent. Le Clae, plateforme regroupant 190 associations issues ou héritières de l’immigration, est un témoin privilégié de leurs évolutions permanentes.
Le nombre d’associations italiennes et portugaises tend ainsi à diminuer, tandis que de nouvelles apparaissent, suivant le mouvement des migrations. « Depuis une quinzaine d’années, il y a beaucoup de ressortissants d’Afrique francophone, notamment du Congo et du Cameroun. Après la crise de 2008, nous avons aussi vu se créer énormément d’associations par des Africains lusophones : des Cap-Verdiens qui étaient déjà là, des Bissao-Guinéens, des Angolais, etc. D’autres immigrations sont davantage liées à l’asile, comme pour les personnes originaires de la Corne de l’Afrique : Éthiopie, Somalie ou Érythrée », liste Anita Helpiquet, qui relève aussi un nombre croissant d’associations portées par des Sud-Américain-es. La chargée de direction du Clae évoque encore la présence, au festival, d’associations d’expatrié-es, une population généralement favorisée : « Les classes sociales se croisent et échangent sur un pied d’égalité. »
Ces nouvelles migrations et surtout les nouvelles générations qui les composent « ne s’expriment plus dans la même forme » que leurs aînées, témoigne Alain Randresy. « Si on prend l’exemple des associations portugaises, on voit bien qu’elles ne sont plus là pour présenter des danses folkloriques, mais qu’il y a une jeune génération qui fait des films, du slam, joue dans des groupes dans lesquels il n’y a d’ailleurs pas que des Portugais », illustre-t-il. « Le festival reflète ces changements de forme », où « on ne va plus parler juste à sa communauté, où on ne vient pas juste pour aller sur le stand lituanien ». Un renouveau et une dynamique perceptible ces dernières années dans les allées du festival. « La transition s’est faite entre la première génération et la suivante », appuie Anita Helpiquet.
Le Clae apporte conseils et soutien aux personnes issues de l’immigration dans leurs projets associatifs. Il est, là encore, un observatoire privilégié des tendances du moment : « Le discours qui vise à dire que les gens ne se rencontrent pas est faux. Il suffit pour cela de consulter le registre des associations pour voir qu’il y en a de plus en plus qui se créent avec des gens d’origines diverses », se réjouit la chargée de direction du Clae. « Le festival crée un contexte de rencontres, il stimule, motive, engage dans quelque chose qui dépasse sa seule durée, et cela débouche parfois sur des collaborations entre associations, voire professionnelles », raconte Alain Randresy.
La culture fait bouger les frontières
Un week-end festif qui modifie positivement la perception des immigré-es, un public toujours aussi nombreux et des personnes d’origines très diverses qui font lien : tout semble aller pour le mieux dans le meilleur des mondes. Après avoir été boudé ces dix dernières années par le gouvernement, qui l’avait un temps menacé de couper une partie de ses subventions pour le festival, le Clae espère de la nouvelle coalition une meilleure écoute. Depuis son entrée en fonction en décembre, Max Hahn, ministre DP de la Famille, des Solidarités, du Vivre ensemble et de l’Accueil, s’est déplacé deux fois dans les locaux du comité, rapporte Anita Helpiquet : une première fois pour une prise de contact et une seconde pour la présentation du « Guide pour la vie associative », édité par le Clae. « Ces visites sont une forme de reconnaissance institutionnelle », remarque Anita Helpiquet.
Mais il faut aller plus loin, insiste la chargée de direction : « Du politique, nous attendons une déclaration sur la culture dans notre travail, car elle joue un rôle moteur pour faire changer les mentalités, faire bouger les frontières et lutter contre le racisme et les discriminations. Ce discours sur la façon de faire société n’est pas toujours compris par le politique, qui reste souvent sur une approche purement socioculturelle de l’immigration. Pour aller au bout de la logique, nous devrions conclure une convention avec le ministère de la Culture, pour précisément mener à terme des projets dans le champ purement culturel. » Un champ déjà largement défriché par le festival, qui, cette année encore, partage l’affiche avec son salon du livre et des cultures, ArtsManif ainsi qu’avec son Village initiatives citoyennes et créations.
En prise directe avec les difficultés auxquelles sont confrontées les populations immigrées, le Clae est, comme d’autres associations, dans l’expectative quant au programme que le nouveau gouvernement mettra en œuvre dans ce domaine. Le seul point abordé par l’accord de coalition au chapitre « Vivre ensemble » porte sur la mise en œuvre de la loi du même nom, adoptée en août 2023. « Cette loi est un choix politique triste, car elle reprend les mêmes outils que précédemment, comme le contrat d’accueil et d’intégration, et est surtout orientée en direction des personnes hautement qualifiées », dit Anita Helpiquet, répétant des critiques déjà formulées. Pour la chargée de direction du Clae, « une vraie politique d’immigration toucherait à l’égalité des droits et de l’accès dans tous les domaines liés au fait de prendre place dans une société : la santé, l’éducation, la formation, le logement, le droit de vote pour tous. Une vraie politique est d’abord une politique de réduction des inégalités sociales. »
Stands, spectacles et actualité
La 41e édition du Festival des migrations et de la citoyenneté se déroulera les 24 et 25 février à Luxexpo The Box. Des centaines de stands associatifs, des spectacles et animations rythmeront le week-end comme à l’accoutumée. Parallèlement, le festival propose un salon du livre, ainsi qu’ArtsManif, qui accueille de nombreux artistes, des expositions collectives, deux résidences d’artistes… Depuis l’an dernier, la manifestation s’est également enrichie d’un espace baptisé « Village du festival », tiers-lieu éphémère dont le but est de renforcer les liens et dynamiques citoyennes, l’engagement et la participation. Le festival est aussi un lieu de débats sur les questions liées à l’immigration et à l’actualité. Samedi 24 février, à 13 h, une table ronde, avec la participation du ministre Max Hahn, débattra de la discrimination et de l’intégration des communautés immigrées au Luxembourg. Directement liée à l’actualité internationale, une rencontre est organisée par l’association Jewish Call for Peace sur la question de la vengeance autour des familles palestiniennes et israéliennes endeuillées, le samedi à 16 h. Pour sa part, le Comité pour une paix juste au Proche-Orient organise une conférence, le dimanche à 16 h, dont le thème est « Entre ségrégation territoriale, colonisations et expulsions forcées : Israël et la Palestine face à l’impasse de la solution à deux États ». Le festival accueille les visiteurs et visiteuses le samedi de 12 h à minuit et le dimanche de 12 h à 20 h. L’entrée est gratuite. Programme complet sur festivaldesmigrations.lu
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