Mai 68 
: Les urgences sont les mêmes

Ce mardi, le woxx, en collaboration avec Radio Ara, avait organisé un débat autour du thème « Politesch aktiv, 1968 a 50 Joer duerno », réunissant deux générations de militant-e-s.

De gauche à droite : Félix Bonne, 
Flo Weimerskirch, Milena Steinmetzer et Joël Adami du woxx, qui a animé la discussion. (Photo : Justin Turpel)

Soyons honnêtes, le public viewing de la Coupe du monde de football organisé par la buvette des Rotondes a attiré plus d’intéressé-e-s dans la cour de l’établissement public qu’il n’y en avait à l’intérieur de la Rotonde 1, où se déroulait le débat. Il ne restait aux intervenant-e-s qu’à espérer que la diffusion en direct à la radio intéresse un peu plus de personnes. Pourtant, les récits, confrontations et même petites joutes verbales de Flo Weimerskirch (engagée depuis des décennies dans diverses initiatives), Milena Steinmetzer (Déi Jonk Lénk) et Félix Bonne (de Move – le mouvement de jeunesse du Mouvement écologique) n’étaient pas du tout dénués d’intérêt : tout au contraire.

Les différences et les constantes de l’engagement ont permis de mesurer le chemin parcouru depuis Mai 68. L’évolution la plus communément admise est certainement celle de la sexualité. Les trois intervenant-e-s sont vite tombé-e-s d’accord pour dire que les choses se sont nettement améliorées. Pour Flo Weimerskirch : « Il ne faut pas oublier les jolies femmes de Mai 68 ou les effigies révolutionnaires de 1789. Dans les mouvements d’il y a 50 ans, les femmes n’avaient pas encore grand-chose à dire – on n’a entendu que les hommes au début. Pourtant, cela a été le point de départ du féminisme et des mouvements en faveur des droits des homosexuel-le-s, qui sont venus après. » Pour Milena Steinmetzer, il y a eu une grande libération de la parole : « Mai 68 a rendu possible pour les plus jeunes générations le fait de parler de leurs préférences sexuelles. Ainsi, l’émancipation sexuelle est possible à un âge plus jeune », a-t-elle constaté.

Avances sur la sexualité

Quant aux raisons, aux racines de l’engagement, les intervenant-e-s ont toutes/tous fait état d’un certain sentiment d’impuissance face au monde qui les entoure et que l’engagement aide à combattre. Pour Flo Weimerskirch, le déclencheur a été le putsch contre Salvador Allende en 1973 : « Jusqu’à ce moment, j’avais cru que la démocratie pouvait servir à renverser les régimes fascistes. Mais là, j’ai compris que les élections ne servaient à rien et qu’il fallait donc s’y prendre autrement. » C’est un prof d’économie au lycée qui a ouvert les yeux de Félix Bonne en expliquant le TTIP : « Il nous a tenus au courant de l’actualité tout en rendant possible le débat contradictoire. » Milena Steinmetzer a quant à elle été politisée par le mouvement contre le projet de loi 5611 (loi sur le chômage des jeunes portée alors par le ministre CSV François Biltgen, qui avait réussi à se mettre à dos presque toutes les organisations de jeunes du pays), ce qui lui a ouvert la voie d’abord vers l’Unel puis vers Déi Jonk Lénk. Ainsi, le milieu scolaire a été retenu comme un catalyseur de l’engagement : « L’école est un environnement hybride, qui est partiellement protégé. On peut y rencontrer ses semblables et en même temps accumuler des connaissances, par exemple se plonger dans de grands textes philosophiques – et surtout, on peut y prendre connaissance des paradoxes qui régissent nos sociétés », a expliqué Flo Weimerskirch.

Par contre sur la question de savoir pourquoi les gens se politisent, les opinions étaient un peu plus divergentes. Tandis que pour Félix Bonne c’est un moyen de combattre la frustration et de vouloir mettre les choses en branle, Milena Steinmetzer est, elle, un peu plus radicale : « Il s’agit clairement de renverser le système, de changer radicalement l’état des choses. Personnellement, je suis révoltée chaque fois que je ressens un sentiment d’injustice. En même temps, l’engagement permet de rencontrer des personnes et de se sentir moins seul-e. » Si pour Félix Bonne le dialogue reste une qualité essentielle de son engagement, Milena Steinmetzer ne pense pas « qu’il faut perdre son temps à discuter avec des machistes ou des néonazis ».

(Photo : woxx)

Dépassement de soi

Les différences entre la radicalité d’alors et d’aujourd’hui ont été un autre sujet du débat. Si nous vivons aujourd’hui une époque où les manifestations sont de plus en plus criminalisées et les manifestant-e-s dépeint-e-s comme violent-e-s dans les médias (on pense notamment au sommet du G20 à Hambourg l’année dernière), celles de Mai 68 avaient l’air plus bon enfant. Pour Flo Weimerskirch : « Nous n’étions ni plus ni moins radicaux qu’aujourd’hui, et j’ai participé à des manifestations où il y a eu des morts. Les CRS et autres forces de l’ordre ont toujours été des forces armées dotées d’armes létales. Celles et ceux que je respecte aujourd’hui, ce sont les militant-e-s peut-être pas tellement politisé-e-s, mais qui au cours des dernières années et de l’arrivée des migrant-e-s se sont massivement engagé-e-s, que ce soit chez elles/eux ou sur des bateaux comme l’Aquarius. » Ce qui a permis à Milena Steinmetzer de rebondir : « S’engager pour les réfugié-e-s demande aussi de te servir de ton corps pour réaliser ton engagement. Ce moment, c’est une sorte de dépassement de soi. »

En ce qui concerne les continuités thématiques entre Mai 68 et 2018, difficile pour les participant-e-s de convenir d’une ligne. Selon Félix Bonne, « le Mouvement écologique s’adapte au marché, mais reste fidèle à ses idées de base ». Flo Weimerskirch pense elle que les réseaux sociaux ont accéléré les choses : « Chaque jour on voit une nouvelle catastrophe, c’est le paradigme de la crise permanente qui n’était pas si présent en Mai 68. » Elle a ajouté plus tard qu’une chose qui a définitivement disparu, c’est la solidarité avec les gouvernements de gauche. Ce à quoi Milena Steinmetzer a répondu par l’expression de son désenchantement quant aux politiques menées par Syriza en Grèce et que « la politique est devenue plus complexe que communistes contre capitalistes ». Les intervenant-e-s se sont mis-es d’accord pour dire que l’engagement ne connaît pas la dimension nationale et que la crise de la migration dépasse de toute façon cette dimension.

Finalement, on peut conclure le compte rendu de cette soirée avec les mots de Milena Steinmetzer : « Pourquoi parle-t-on encore de Mai 68 ? Les problèmes sont restés, mais leur capacité de nuisance s’est dramatiquement accélérée. »

Vous trouvez l’enregistrement de la table ronde ici.


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