CENTRE POUR TOXICOMANES: Sur la mauvaise voie

La polémique autour de la construction du centre pour toxicomanes à Bonnevoie fait rage. Face aux réalités, les opposants n’hésitent pas à employer des arguments discutables.

Blancs, proches de la retraite, luxembourgeois.
Un public représentatif de Bonnevoie?
(photo: woxx)

Alain Biren est un homme comme il faut. La trentaine débutante, Biren est marié, père de famille et agent d’assurance. Les Biren sont installés depuis des générations dans le quartier de Bonnevoie, c’est dire s’ils le connaissent. Ordonné, Biren, président de l’initiative de citoyens « Stëmm vu Bouneweeg », a débuté son discours par son CV. Ce membre du CSV a une conviction : que les habitant-e-s de Bonnevoie ont droit à la tranquillité et à la sécurité après une dure journée de travail. Le travail, la famille, le quartier. Bonnevoie, c’est sa patrie.

Le débat initié autour de la construction d’un centre pour toxicomanes à Bonnevoie a pris une tournure très politisée. Excédé, le collège échevinal a annoncé, lors d’une conférence de presse de « mise au point » lundi dernier, que ses membres qui siègent d’ailleurs tous à la Chambre des député-e-s déposeront une motion engageant tous les partis à prendre position sur la question du site prévu dans la rue du « Dernier Sol ».

Contacté par le woxx, Marc Angel, député LSAP et également président du groupe socialiste au conseil communal, préfère attendre la tenue d’une réunion interne avant de se prononcer : « Si la motion contient des idées intéressantes, nous pourrions la soutenir. Mais nous n’excluons pas non plus d’en déposer une de notre côté. » Laurent Mosar, président du groupe CSV au conseil communal, admet que la motion contient un certain nombre de bonnes idées, mais reproche au collège échevinal de « prêcher d’un côté l’ouverture et de l’autre de déposer une motion qui demande à prendre position immédiatement ».

Il semble en tout cas que la section locale du CSV accueille la polémique comme du pain bénit. Au lendemain de la conférence de presse du collège échevinal, Laurent Mosar tire à boulets rouges sur l’équipe du bourgmestre. Faisant preuve de compréhension pour l’initiative de Bonnevoie, Mosar lui emboîte le pas et fait écho à la thèse selon laquelle ce quartier ne peut pas accueillir toute la misère du pays : « Déjà, l’installation du Foyer Ulysse (lieu d’hébergement pour sans abri, ndlr.) est à l’origine de beaucoup de problèmes à Bonnevoie. Les habitants du quartier ont fait preuve de beaucoup de patience en acceptant cette population. »

Ouste, les clodos !
« Cette population » doit désormais s’attendre à croupir sous les tirs croisés de certains partis. Mercredi, le président du groupe parlementaire du LSAP et membre du conseil communal, Ben Fayot, a lui aussi pris le « Lumpenproletariat » dans sa visière : Bonnevoie ne peut accueillir deux structures sociales. Si le centre pour toxicomanes doit s’y construire, le Foyer Ulysse devra disparaître.

Alain Biren n’a pas attendu longtemps pour se féliciter de ce ralliement. Quelques heures plus tard, il se réjouit de compter parmi ses rangs un nouvel allié, le LSAP, à côté de la section municipale du CSV et de l’ADR. Une étreinte un peu étouffante pour un parti que cette histoire met mal à l’aise et qui tient le poste de ministre de la santé, responsable du projet, en la personne de Mars Di Bartolomeo. De surcroît, un des conseillers communaux LSAP, Armand Drews, a signé la pétition de la « Stëmm vu Bouneweeg ».

Avant que la déclaration de Fayot ne soit rendue publique, Marc Angel n’est pas allé aussi loin que son camarade de parti. Contacté par le woxx, il défend le projet de la « Fixerstuff », mais admet que c’est « la goutte d’eau qui a fait déborder le vase ». Et d’ajouter qu’ « il faut plus de structures décentralisées, car les habitants de Bonnevoie ont le sentiment de ne pas être pris au sérieux. » Une chose est sûre : tout comme le collège échevinal, Angel souligne que sans « Fixer-stuff », le problème des seringues traînant par terre serait bien pire.

Qui dit seringue dit dealer. La question sécuritaire est au centre des préoccupations de la « Stëmm vu Bouneweeg ». Selon l’initiative, le centre pour toxicomanes attirerait inévitablement les revendeurs de drogue. Une affirmation relayée par Laurent Mosar. Toutefois, les professionnels du milieu se montrent plus sceptiques. Par exemple Alexandra Oxacelay, directrice de l’association pour sans abris « Stëmm vun der Strooss » : « Je doute fortement que la vente de drogues se déplacerait vers les rues avoisinantes. Les dealers préfèrent commercer dans le quartier de la gare, où la discrétion est mieux assurée ».

Thierry Weber, directeur adjoint de la police régionale Luxembourg-Centre, ne croit pas non plus à la thèse du pôle d’attraction. Alors que le « Tox-In » sur la route de Thionville existe déjà bientôt depuis deux ans, la police constate que le gros des trafics continue de se dérouler dans le quartier de la gare. « Rien n’indique dans l’état actuel des choses qu’il y ait un lien de cause à effet entre un centre pour toxicomanes et le trafic. » Certes, les toxicomanes continuent à se piquer à l’extérieur du centre provisoire, mais ils le font sur le proche terrain vague et ce, comme le souligne Weber, « parce que la Fixerstuff n’est pas ouverte 24 heures sur 24 ».

Les opposant-e-s à la Fixerstuff ont en tout cas l’argument facile et ne font pas dans la nuance. Pour Mosar, il est évident que l’installation de caméras de surveillance sur la place de la gare et jusque dans la rue Joseph Junck confortera l’exode des dealers vers Bonnevoie. Le son de cloche de la police est toutefois différent : d’ailleurs, aucune caméra de surveillance n’est installée dans la rue Joseph Junck.

Elles se trouvent uniquement sur la place de gare, ce qui aura certes un effet d’exode « mais dans un rayon de 360 degrés tout autour de la place ». Certaines rues de la Gare et de Hollerich seront plus touchées que Bonnevoie.

Des arguments approximatifs
En se renseignant un peu plus auprès des professionnels du milieu, on constate d’ailleurs que les arguments des opposants à la « Fixer-stuff » reposent plus sur des impressions que sur une connaissance du terrain. Comme l’exemple mis en avant par Laurent Mosar, la fermeture du centre de Sarrebrück aux toxicomanes étrangers à la ville, que Laurent Mosar prend pour exemple. Sous couvert d’anonymat, un responsable institutionnel confie au woxx que l’interdiction faite aux non-résidents de Sarrebruck d’utiliser le centre est plus une décision politicienne qu’une solution pratique. « Les toxicomanes non-résidents continuent à venir à Sarrebrück, ils sont tout simplement plus éparpillés, ce qui ne facilite pas le contrôle », nous explique-t-on.

Et tant qu’on y est : pourquoi ne pas souligner, comme l’a fait Mosar, qu’un grand nombre de clients de la « Fixerstuff » sont des étrangers en situation irrégulière ? Les informations du woxx recueillies auprès de l’institution ne disent pas la même chose. Les clients doivent en effet s’inscrire, une majorité est d’origine étrangère, mais cela correspond plus ou moins à la structure générale du pays.

Autre péché capital du site : il sera construit à côté, comme le souligne avec véhémence Mosar, d’une « école avec 700 enfants » ! Dans un genre moins dramatique, l’on peut aussi parler de lycée pour professions de santé qui accueillera des élèves d’au moins … 16 ans. Pour Alexandra Oxacelay, ce serait presque un argument en faveur du site, étant donné qu’ « une grande partie de ces élèves aura bientôt à faire à cette clientèle ».

Certes, tous les acteurs, d’un côté comme de l’autre, s’accordent pour dire qu’il faut comprendre la population et qu’une organisation plus décentralisée avec des structures plus petites serait idéale. Mais la véritable question est aussi de savoir où se trouve la réalité et où commencent les phantasmes. « Nous ne touchons pas le pouls de la population », dit Thierry Weber, « mais souvent, le sentiment d’insécurité débute avec une attitude ou une tenue vestimentaire peut-être plus négligée d’un sans abris ou d’un toxicomane. Mais cela ne constitue pas un délit ! »

La polémique fait débat partout. Y compris au sein de l’association « Stëmm vun der Strooss », qui y dédiera le prochain numéro de son mensuel. Le numéro sera certainement intéressant, car, comme l’a confié au woxx Oxaceley, les SDF y feront part de points de vue nuancés, certains même compréhensifs envers les habitants apeurés. Comme quoi, il faut parfois beaucoup de patience pour comprendre le petit-bourgeois qui enrage.


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