DISCRIMINATIONS: Une loi indésirable

Avec la loi sur l’égalité de traitement, la lutte contre les discriminations entre dans une ère nouvelle. Mais le parlement a fait de la composition de son organisme central une affaire politique.

in: Eurobarometer Survey on Discrimination and
Inequality in Europe, TNS Opinion & Social, 23.01.2007

« Chaque loi rencontre sur son chemin des obstacles inconscients, qui sont le test que notre société a le désir de cette loi, » écrit l’avocat français Pierre Lafont, interprétant la psychanalyste Julia Kristeva. Visiblement, la société luxembourgeoise – ou du moins le monde politique – n’a pas le désir de la loi d’antidiscrimination. Car l’organisme central créé par cette loi, le Centre pour l’égalité de traitement, est mal parti : il aura fallu deux séances du parlement pour lui donner un président, et trois pour compléter le groupe de ses membres. La frilosité dans la composition de cet organe s’ajoute aux tergiversations qui avaient accompagné la transposition – tardive – des deux directives européennes sur l’antidiscrimination en droit luxembourgeois.

Le manque d’enthousiasme du Luxembourg pourrait être dû au fait que l’introduction d’une législation d’antidiscrimination marque un tournant dans la philosophie et la pratique juridique. Désormais, ne pourront pas seulement porter plainte les personnes qui ont été ouvertement traitées de façon inégale à cause de leur origine ethnique, de leur âge, de leur orientation sexuelle, de leur religion ou conviction ou d’un handicap, mais également quiconque qui estime qu’une disposition apparemment neutre entraîne un désavantage pour la minorité à laquelle elle appartient. Exemple typique : un restaurant n’admet pas de chiens, ce qui conduira en pratique à exclure les personnes malvoyantes accompagnées de chiens d’aveugles. Les champs d’application sont le travail et la sécurité sociale, l’éducation, le logement et le secteur des services. Conformément aux directives, le harcèlement est également défini comme une discrimination contre laquelle on peut porter plainte. L’accès à la justice n’est pas seulement donné aux particuliers, mais également aux associations agréées par l’Etat.

Président politique

Face au guignol produit par le parlement, le nouveau président Patrick de Rond se résume, vis-à-vis du woxx, à témoigner du respect pour le candidat malchanceux de la première ronde, Serge Kollwelter : « Je respecte M. Kollwelter pour son engagement. Il serait important d’avoir dans beaucoup de domaines de la société des personnes de son format, pour avoir un contrepoids fort vis-à-vis de la politique et de pouvoir y introduire des idées qui sont nouvelles ou controversées. » De Rond, coordinateur du Service diocésain de pastorale des personnes ayant un handicap, assume également la fonction de président de la Conférence générale de la jeunesse luxembourgeoise. Cependant, comme il est en plus membre du comité de circonscription Sud du CSV, le vote de la Chambre était également un vote pour un candidat du CSV contre un candidat du LSAP, Raymond Remakel. Patrick de Rond admet que le jeu politique a joué « un certain rôle », mais autant Remakel que lui-même disposent d’« expériences dans le domaine de l’égalité des chances que nous voulons transposer dans notre travail et ainsi contribuer ensemble au succès du centre. » Le fait que jusqu’ici aucune personne non luxembourgeoise n’en fait partie, ne lui semble pas a priori problématique : « Ce qui est important, c’est que les gens qui travaillent dans ce centre ne se focalisent pas trop sur un motif de discrimination, mais qu’ils soient disposés à regarder les traités de manière transversale et que les différents motifs de discrimination soient traités de façon équitable. » La question reste posée si avec un président catholique membre du parti du gouvernement, le centre pourra vraiment développer une certaine indépendance, indispensable à sa crédibilité. Peut-on espérer que, comme le médiateur, il va néanmoins s’imposer comme structure légitime et nécessaire ?

Anik Raskin, juriste auprès du Conseil national des femmes (CNFL) et membre du nouveau Centre, a lu l’annonce de sa nomination dans le journal – et l’a accueillie avec réserve. La fédération des organisations de femmes l’avait envoyée dans la bataille parlementaire bon gré mal gré. Car le CNFL avait revendiqué une structure séparée, un observatoire de l’égalité entre femmes et hommes : « C’est un sujet qui se superpose aux autres, ce n’est pas une question de minorité. » Maintenant, elle se retrouve dans un organe où cette question sera un point parmi d’autres – et dont la composition ne la satisfait pas : « Pas question de parité entre femmes et hommes. De plus, certains des six motifs de discrimination visés par la loi ne seront pas représentés parmi les membres. »

Mais ce n’est pas seulement de ses membres que dépendra le fonctionnement du nouveau centre, qui sera complet, on l’espère, en janvier. Anik Raskin précise : « Au budget 2008, 200.000 ? sont prévus pour le nouveau centre. Je me demande comment on pourra poser des accents avec une telle somme. » Les ressources personnelles du centre seront également minimales, les jetons prévus pour les membres n’assurant qu’une activité extraprofessionnelle. L’impossibilité de faire un travail sérieux est d’ailleurs la raison pour laquelle l’appel à candidatures n’a pas eu un grand succès. Patrick de Rond : « Les cinq personnes qui doivent faire vivre le centre n’ont sûrement pas la possibilité de s’investir à temps plein. Il deviendra très vite nécessaire d’engager un staff professionnel qui peut assurer le travail au jour le jour. »

Contrairement à d’autres pays, le législateur luxembourgeois n’a confié au nouvel organisme qu’un rôle de conseil et de guidage des victimes qui s’adressent à lui. En France par exemple, la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE) est dotée de droits d’intervention et d’investigation. Depuis sa création en 2005, elle est assaillie de demandes et a déjà réglé des centaines de réclamations. Patrick de Rond admet que la loi luxembourgeoise est très vague quant à la structure du centre. Comme lui, Anik Raskin est d’avis que le Centre sera occupé dans un premier temps à réfléchir sur sa propre structure et à revendiquer des ressources financières et humaines plus importantes. Du temps précieux qui ne pourra pas être consacré aux missions intrinsèques du centre.

Preuves probantes

Les organisations de défense des victimes, elles, sont en train de se familiariser avec la loi sur l’égalité de traitement. Alors que dans nos pays voisins, les directives sont déjà transposées depuis quelques années, les ONG et les syndicats luxembourgeois se rendent compte qu’ils disposent là d’un nouvel instrument de défense des droits de leurs membres. Lors d’un séminaire organisé récemment par l’« Institut de formation sociale » à l’initiative de la Commission européenne, les discriminations visées par les directives étaient bien représentées : les associations de personnes portant un handicap, mais aussi les organisations syndicales défendant les travailleurs et travailleuses plus âgées, le Centre d’information pour gays et lesbiennes et les organisations d’étrangers étaient présents. Seules les représentant-e-s de religions ou de convictions « minoritaires » faisaient défaut.

Un point central émergeant dans les discussions était la défense des droits des victimes. Comme le soulignait l’avocat François Moïse, la loi luxembourgeoise est peu précise dans ce domaine. D’ailleurs, la justice luxembourgeoise n’est habituée ni à des procédures judiciaires autres que pénales – telles que la médiation ou l’accommodement -, ni à l’introduction de preuves autres que les classiques. Or, la poursuite juridique de discriminations est souvent rendue difficile par le fait que les témoins sont rares et souvent réticents à témoigner.

Dans cette matière, beaucoup d’actions en justice doivent donc reposer sur de nouveaux moyens de preuve. Ainsi, une personne s’estimant discriminée à l’embauche, peut avancer des statistiques qui démontrent que telle entreprise exclut systématiquement les gens d’un certain âge ou appartenant à une certaine ethnie. En France, les ONG utilisent beaucoup le « testing », par exemple l’introduction de candidatures fictives auprès d’entreprises, ou par la présentation de couples homosexuels auprès de discothèques. Si les résultats de ces tests sont retenus comme valables par la cour de justice, il est alors au patron de démontrer qu’il n’y a pas eu discrimination : c’est l’aménagement de la charge de la preuve. Le « testing » a été très controversé lors de son introduction en France, et il est à prévoir qu’il va également susciter une levée de boucliers au Luxembourg. Cependant, dans ce domaine, autant les victimes ainsi que les ONG et syndicats qui les défendent, n’auront souvent pas d’autre choix que de s’en servir. L’attitude de la justice sera la prochaine épreuve pour la nouvelle loi. A voir si elle a, elle, le désir de la loi.


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