La directive « retour », récemment adoptée par le Parlement européen, est souvent mentionnée pour justifier les refoulements. Alors qu’elle n’oblige aucun gouvernement à expulser des ressortissants étrangers.
Une des particularités les plus pratiques de l’Union Européenne est sûrement sa versatilité en tant qu’argument politique. Mettez-vous un instant à la place d’un ministre qui doit faire face à des choix impopulaires : l’argument que ce n’est pas lui, mais la solidarité européenne qui le force à aller contre l’opinion, est une des excuses les plus utilisées des dernières dix années. Quelque chose va mal ? C’est la faute à Bruxelles. Laisser la Commission ou le parlement européen porter le blâme est devenu un classique. Un avantage supplémentaire de cette argumentation est que la bureaucratie européenne apparaît tellement rébarbative au citoyen lambda qu’il n’est pas près d’aller vérifier. Alors qu’un petit coup d’oeil de temps en temps ferait sûrement du bien à ses capacités de jugement sur celles et ceux qui le gouvernement.
En défendant la décision d’expulser des familles et des enfants vers le Kosovo, le ministre délégué à l’immigration, Nicolas Schmit, a aussi utilisé l’excuse europeénne. « Le Luxembourg ne peut pas se permettre d’échapper à la tendance européenne », a-t-il constaté lors d’une de ses interventions. En regardant d’un peu plus près la tristement célèbre directive « retour », on constate qu’il n’en est rien. Bien qu’elle reconnaisse la « légitimité de la pratique du retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier », ce qui fait entrer officiellement la politique inhumaine des expulsions dans la politique de la forteresse Europe, elle ne force aucun pays membre à expulser des ressortissants de pays tiers qui seraient dans une situation illégale. Au contraire, elle interdit « aux Etats d’appliquer des normes moins favorables aux immigrants illégaux – tout en leur laissant la liberté de maintenir ou d’adopter des normes plus favorables ».
En bref : quand Nicolas Schmit explique que c’est la méchante Europe qui le force à expulser, il nous raconte des foutaises. Il semble que sur ce point il ne soit pas le seul. Ses collègues Brice Hortefeux et Wolfgang Schäuble font de même. C’est surtout la « vieille Europe » qui se plaît à ce jeu : chacun dit que la politique du voisin ne lui laisse aucun choix, alors qu’en réalité il n’y a jamais eu d’impact primaire qui les y forcerait.
Mais, à chaque fois qu’une politique plus « sensible est exécutée» – nous dirons plutôt contraire aux droits de l’homme, éthiquement condamnable et économiquement stupide – les gouvernements aiment bien se cacher derrière les façades officielles pour se justifier. Et parfois, ça foire. Nicolas Schmit a ainsi tenté de se servir de l’Unmik – la mission des Nations Unies au Kosovo – pour se dédouaner. Malheureusement pour lui, l’Unmik n’a déclaré apte à un retour volontaire que 61 des 87 personnes dont le ministère voulait se débarasser, comme il a dû l’admettre suite à une question parlementaire de Félix Braz (Déi Gréng). Dans sa réponse, le ministre a aussi admis que sa proposition de retour volontaire et assisté n’a connu pratiquement aucun succès. Mais au lieu de mettre en question sa politique, il préfère rester caché derrière la forêt d’institutions qu’il invoque pour justifier ses agissements inhumains. En fin de compte, le projet d’expulser « dans la dignité » est un échec total. Ce qui n’étonne guère, car on ne peut pas rendre l’indigne digne juste en lançant quelques mantras politiques. Il faut changer de politique, c’est tout.