Un zéro pointé pour le système scolaire luxembourgeois à l’épreuve PISA. „Back to basics“ s’exclame la ministre pour la nième fois. Mais comment en est-on arrivés là? Et quels sont ces „basics“ qui font défaut à nos élèves?

Symbole de la pédagogie grand-ducale: une double page d’expressions à apprendre par coeur. Un lumineux regroupement grammatical libre de toute considération sémantique.
„Je suis profondément ébranlée“ a dit Anne Brasseur, ministre de l’éducation nationale, en présentant à la presse, il y a deux semaines, les résultats de l’étude PISA. Depuis, le classement catastrophique du Luxembourg (le 29e sur 31 pays) a fait couler beaucoup d’encre. De nombreux lobbies ont profité de l’occasion pour attribuer la faute aux autres et affirmer qu’ils détenaient depuis toujours la recette miracle.
Les solutions proposées par la ministre laissent également un large champ libre à l’interprétation. Dans le slogan „back to basics“, l’accent est-il mis sur „back“ ou sur „basics“? Et si tout le monde est d’accord que notre système scolaire doive mieux préparer les jeunes à réussir dans la vie, il reste à définir quelles sont les compétences requises pour réussir dans le monde de demain.
Ecrire une lettre
Lors de l’émission-débat „Impuls“ sur RTL, un des problèmes soulevés dans le contexte de la réussite professionelle était: „Ils ne savent plus écrire une lettre dans un français correct.“ S’agit-il là vraiment d’un objectif pour l’école du 21e siècle? A l’âge de l’ordinateur, éviter les fautes d’orthographe et de grammaire reste un objectif, mais les moyens ont changé: des programmes peuvent se charger de corriger les fautes d’inattention et les trémas sur les i de mots peu usités.
Plutôt que de multiplier les dictées jusqu’à la nausée, l’école devrait enseigner les compétences nécessaires pour rédiger un texte correct: connaissances de base en grammaire et orthographe, bien entendu, mais aussi la capacité de se servir intelligemment de dictionnaires, désormais omniprésents sous leur forme virtuelle. Et puis les facultés qui comptent vraiment quand on doit se servir d’une langue: lire un texte et le comprendre, formuler une idée de manière claire et intelligible quand on rédige une lettre, voire un e-mail. Enfin, dans la vie d’adulte, le français est bien plus souvent employé oralement que par écrit. Quel avenir pour des élèves ayant appris à rédiger des lettres à la perfection, mais qui se mettent à bafouiller dès qu’ils doivent répondre en français au téléphone?
Etre capable des deux à la fois serait encore mieux … Certain-e-s évoquent les qualités des élèves d’il y a 20 ans et affirment que le niveau a baissé. Chantal Serres, prof de français depuis 15 ans, interrogée par woxx, n’en est pas si sûre: „Je me souviens qu’après le changement des manuels du primaire, je remarquais chez les enfants arrivant en septième une plus grande aisance en français. Ils savaient mieux parler, communiquer, comprendre des textes. Par contre certains enfants ont des difficultés avec les trop grandes quantités de savoir à assimiler dans le secondaire, car le primaire, en mettant plus l’accent sur la communication, ne les entraîne plus au simple apprentissage par coeur.“
Pour quoi faire?
Qu’enseigne-t-on dans un cours de français? Une bonne moitié du temps est passée à étudier la grammaire. Un coup d’oeil dans le manuel montre qu’une partie non négligeable de l’enseignement des langues est consacrée à l’enseignement d’un dialecte bien particulier: le langage technique des grammairien-ne-s. Or ce sont là des livres récents, dont l’introduction est considérée comme un progrès. „Ce qui est mieux avec les nouveaux manuels de l’enseignement secondaire, c’est qu’ils construisent les connaissances grammaticales peu à peu, en répétant et en approfondissant d’année en année“, indique Chantal Serres. Mais: „Je trouve que nous faisons toujours trop de grammaire, et négligeons l’expression écrite et surtout orale. De toute façon, ce ne sont pas de nouveaux manuels qui nous sauveront.“
Faut-il continuer à moderniser sur une plus large échelle? Sera-ce là le contenu de l’offensive dans l’éducation annoncée déjà il y a deux ans par Anne Brasseur? Quand la ministre parle du pendule de la pédagogie qui aurait dévié – sous-entendu du côté „edutainment“ – et de qualités à retrouver comme le respect et la ponctualité, on se dit qu’on est plutôt partis pour un retour en arrière. Elle a affirmé croire en un lien entre le manque de motivation et le trop-plein de consommation dans les ménages luxembourgeois. Or, si tel était le cas, les enfants issus de milieux modestes devraient être avantagés – les statistiques montrent que c’est tout le contraire.
Back to basics
„La culture, c’est ce qui reste quand on a tout oublié.“ C’est dans l’optique de cette phrase d’Edouard Herriot que le „back to basics“ ministériel prend tout son sens. A quoi bon enseigner des vocables, des règles, des auteurs qui seront oubliés par la suite? L’essentiel est qu’à travers cet enseignement, on arrive à transmettre les compétences de base. Plutôt que de parler de „allemand, français, calcul“, la ministre devrait avancer „lire, s’exprimer, penser“ ou reprendre la description qu’elle a donnée elle-même des qualités requises aux épreuves PISA: „comprendre, asssimiler, avoir l’esprit créatif“.
Là où la ministre fait preuve d’esprit offensif – dans les paroles, en attendant les actes – c’est quand elle affirme qu’il faut alléger les programmes. Elle reprend, il est vrai, un constat qui date de l’époque Fischbach, mais reste toujours aussi difficile à mettre en oeuvre. „Les programmes sont surchargés“, a-t-elle dit. „Ce qui n’est pas indispensable doit disparaître.“ Encore faudra-t-il remplir intelligemment le temps gagné.
La nécessité d’une offensive dans l’éducation nationale est amplement confirmée par l’étude PISA. Mais il ne suffira pas de naviguer à vue et de parer au plus pressé. Une véritable offensive devra aller au-delà des solutions qui s’imposent à tout le monde, elle demandera une réflexion, des moyens, des choix douloureux et des décisions courageuses.