Celles et ceux qui ne voient dans le conflit qui s’annonce autour de la loi sur l’avortement qu’une euthanasie bis, pourraient se tromper.
Disons-le d’emblée : le projet de loi déposé par le ministre de la justice François Biltgen est bel et bien une aberration. Si ce texte était adopté, non seulement l’avortement relèverait toujours du pénal, mais l’indication sociale obligatoire alourdirait encore le sort des femmes qui se trouvent dans l’inconfortable situation d’envisager un avortement. En d’autres mots : pour l’Etat – et surtout le CSV – la femme n’est toujours pas un être mature qui saurait décider de son sort.
Certes, il y a des parallèles entre la bataille pour un avortement dépénalisé et celle qui fût menée il y a plus ou moins un an pour l’euthanasie. Encore une fois, la société s’oppose autour de deux pôles : les conservateurs, catholiques et autres, qui voient dans la préservation de la « vie naissante » un diktat de leur dieu et les progessistes, qui veulent ancrer le libre arbitre dans la loi et surtout faire cesser l’hypocrisie actuelle autour de ce thème.
Mais sinon, le débat, la guerre tant attendue se fait attendre. Ce n’est plus le même enthousiasme de 2009, quand l’euthanasie est devenue une question qui divisait la société luxembourgeoise.
Bon, l’église catholique – par le biais de l’archêveque Fernand Frank – a déjà crachée son venin en faisant savoir qu’en aucun cas les catholiques n’accepteraient l’avortement. Mais comme c’était déjà le cas avec l’euthanasie, les motivations de l’église catholique sont complexes. D’un côté il s’agit de garder son primat sur les corps humains, de leur imposer un mode de vie et de l’autre il s’agit d’une bataille pour le pouvoir politique de l’église, encore considérable sous nos latitudes. Car toute bataille perdue va de pair avec le constat d’une perte d’influence, et ce chemin mènera un jour ou l’autre – espérons-le – à ce que l’église catholique se retrouve là où elle devrait être depuis longtemps : hors des conventions étatiques et hors d’état de nuire. De toute façon le message de Fernand Frank tient dans une phrase : Nous ne discuterons pas. Eh bien, qu’on les laisse tranquilles. De toute façon, on voit mal comment une organisation dominée par des mâles qui restent entre eux, pourraient savoir quoi que ce soit sur comment fonctionne une femme.
Néanmoins, la querelle autour de l’avortement a une dimension supplémentaire par rapport à celle menée pour l’euthanasie : la composante féminine voire féministe. Or, c’est là où le bât blesse : à part le Cid-Femmes et le Planning familial, aucune association de femmes ne s’est jointe à celles et à ceux qui dénoncent ce projet de loi hypocrite.
Or, comment interpréter ce silence ? Les femmes luxembourgeoises ne seraient-elles pas prêtes à se battre pour leurs droits ? La réponse est comme souvent complexe : d’un côté il y a la timidité des associations de femmes de critiquer un gouvernement dont certaines d’entre elles dépendent financièrement – raison de plus de saluer le courage de celles qui ont osé dire haut et fort ce qu’elles pensent du projet de loi. De l’autre, l’influence de l’église catholique dans les associations de femmes reste énorme, et c’est là que les curés joueront de leurs muscles: certaines associations ne se contentant pas d’être proches ou affiliées à l’archévêché, mais d’en dépendre directement.
Mais ce n’est pas tout. La classe politique n’est pas vraiment entrée dans l’arène du débat non plus – à quelques exceptions près. La situation des femmes luxembourgeoises est en fait catastrophique : qu’attendre d’un pays dominé depuis presqu’une centaine d’années par des conservateurs, des socialistes édentés, gratifié d’une ministre de l’égalité des chances qui clame haut et fort ne pas être féministe, et patronné par ce monarque blâfard qui préfère prendre conseil en catimini au Vatican plutôt que de respecter le vote de son peuple ? Une intercession divine de la grande-duchesse, par solidarité avec la gent féminine ? Rien n’est moins sûr? Surtout que la société civile elle aussi tarde à se manifester. En parcourant les journaux et les blogs qui s’étaient déchaînés l’année dernière pour défendre le droit de mourir en dignité, on se retrouve dans un grand désert.
La bataille est loin d’être gagnée, mais elle révèle déjà les déficits de la société luxembourgeoise. En d’autres mots : la lutte pour l’émancipation de la femme luxembourgeoise a encore de beaux jours devant elle.