Après d’âpres marchandages, les Vingt-Sept sont parvenus à un accord sur la future directive européenne « devoir de vigilance ». Pas friand de nuance, le patronat luxembourgeois estime que le texte fait peser une menace existentielle sur l’économie du pays.
Le 15 mars, les États membres de l’Union européenne ont enfin conclu un compromis sur la future directive européenne sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité (CSDDD). Elle devrait être adoptée par le Parlement européen à la mi-avril. Elle obligera les grandes entreprises à mieux respecter les droits humains et l’environnement sur l’ensemble de leur chaîne de valeur, y compris dans leurs filiales et chez leurs sous-traitants hors UE.
Le chemin a été tortueux pour y parvenir. Des pays comme l’Allemagne, la France et l’Italie ont ouvertement fait pression pour limiter le champ d’application de ce projet défendu par un vaste éventail d’associations de la société civile. Dans ce jeu, où des États se muent en porte-paroles du patronat, le grand-duché a interprété une partition moins grossière que d’autres. Il a cultivé un savant entre-deux en soufflant le chaud et le froid, mais surtout en entretenant l’opacité sur sa position officielle, particulièrement sur le secteur financier, finalement exclu de la directive.
Bien moins subtile, la Fédération des industriels luxembourgeois (Fedil) s’est fendue, ce mardi 19 mars, d’un communiqué intitulé « Devoir de vigilance des entreprises : non à la lourdeur administrative et à la désintégration du marché intérieur ». Endossant le rôle de « bad cop » du patronat, la Fedil tire à boulets rouges sur un texte dont le premier défaut serait d’alourdir la charge bureaucratique qui pèsera « sur l’ensemble des entreprises européennes, et notamment sur les PME ». Et c’est là qu’on dégaine le premier carton rouge : le projet de directive arrêté le 15 mars s’appliquera « aux entreprises de l’UE et des pays tiers comptant plus de 1.000 salariés et 450 millions d’euros de chiffre d’affaires ». Or, au Luxembourg, les PME sont définies comme des entreprises employant moins de 250 salarié-es et réalisant un chiffre d’affaires annuel inférieur à 50 millions d’euros. Elles échappent donc au champ d’application du futur texte. Soit la Fedil ne sait pas très bien ce qu’est une PME, soit elle est vraiment de mauvaise foi. On vous laisse le choix de la réponse.
« Soit la Fedil ne sait pas très bien ce qu’est une PME, soit elle est vraiment de mauvaise foi. On vous laisse le choix de la réponse. »
Du côté de la société civile, les échos sont bien différents sur ce point, alors qu’un accord politique négocié en décembre prévoyait une application aux groupes européens comptant plus de 500 salarié-es et réalisant un chiffre d’affaires mondial net d’au moins 150 millions d’euros. En augmentant ce seuil, la future directive vide en partie la portée du texte, s’insurgent les ONG. Global Witness calcule qu’avec cette modification, seules 5.400 entreprises seraient concernées, contre quelque 16.000 initialement.
Outre le danger que représenterait le texte pour nos approvisionnements en matières premières, la Fedil nous repasse aussi les plats du « level playing field ». La directive manquerait d’harmonisation au niveau européen, au risque de créer une distorsion de concurrence entre pays. Et la Fedil d’écrire que la directive sapera « un des fondements de la construction européenne, à savoir le marché intérieur », menacé de « désintégration ». Tous-tes aux abris !
Mais, nous le savons tous-tes, le véritable ennemi vient de l’extérieur et on lui ouvre grand nos portes, puisque cette directive se situe, selon les industriels luxembourgeois, « dans la lignée d’une légifération qui aura marqué ces cinq dernières années, pendant lesquelles les entreprises dans l’UE ont perdu beaucoup de terrain par rapport à leurs concurrents de pays tiers ». Sus aux envahisseurs ! Et, évidemment, aux « droit-de-l’hommistes » et autres écolos wokes qui inspirent ces législations qui amputent les profits.
Si le diable se cache souvent dans les détails, c’est proprement en première ligne qu’il apparaît dans le communiqué de la Fedil. Elle dit d’entrée se rallier « aux objectifs de durabilité dans les chaînes d’approvisionnement et à des principes de commerce plus équitable sur le marché européen ». Les mots droits humains, environnement et climat n’apparaissent à aucun moment dans la prise de position. Cette façon de présenter les choses élude l’essentiel des objectifs du texte, qui oblige « les entreprises à atténuer l’impact négatif de leurs activités sur les droits humains et l’environnement, notamment en ce qui concerne l’esclavage, le travail des enfants, l’exploitation par le travail, la dégradation de la biodiversité, la pollution et la destruction du patrimoine naturel ». Mais où va-t-on si l’on ne peut plus exploiter les enfants des pays du Sud en polluant sans vergogne leur environnement ? Pour les industriels, humains et nature demeurent de simples prolongements de machines qui font avantageusement tourner leurs tiroirs-caisses. À ce point, cela devient caricatural, et on craint de manquer de cartons rouges pour mettre la Fedil hors jeu.