Au plus tard après l’étude Pisa, tout le monde semble d’accord: le système scolaire luxembourgeois aurait besoin d’être réformé. Mais comment?
C’était sans doute le cadre académique du Conservatoire de Musique à Luxembourg-Ville, qui faisait que la ministre de l’Education nationale, Anne Brasseur, avait l’air bien plus à l’aise qu’à l’habitude. Elle profita ici du fait que tout le monde l’écoute pieusement pour réaffirmer ses positions de manière un peu plus nuancée qu’à son habitude. „Basics gin net duer, daat wees ech och“, concéda la ministre aux quelques 500 personnes venues à la présentation des résultats de l’étude Pisa.
D’emblée, Anne Brasseur refusa toute discussion. Pourquoi? Il y avait, paraît-il, trop de monde ce soir-là; cette présentation ne représentait qu’une première étape d’une discussion plus large autour des leçons à tirer de l’étude internationale analysant l’aptitude des élèves de 15 ans en matière de lecture, de mathématiques et de sciences naturelles; le lieu où il faudrait vraiment discuter serait le „Conseil supérieur de l’Education national“ où tou-te-s les acteurs et actrices de l’enseignement luxembourgeois seraient réuni-e-s.
Lundi dernier n’était donc – encore une fois – pas l’occasion de lui dire, une fois pour toutes, son opinion, à Madame la ministre. Au lieu de cela, cette dernière invita plutôt à faire des e-mails à l’adresse „pisa@men.lu“ ou d’envoyer des lettres au ministère.
Donc, non seulement le „Conseil supérieur de l’Education nationale“ n’est pas considéré, par différents syndicats, comme aussi représentatif que la ministre veut bien le faire croire, mais sa pratique de dialogue appliquée reste avant tout unilatérale.
Face aux grandes diversités de points de vue par lesquelles se caractérise la problématique scolaire, Anne Brasseur dit du moins vouloir prendre ses responsabilités: „Ech si gewëllt ze tranchéieren.“ Ce qui pourrait facilement se transformer en: „Ech tranchéieren wéi ech wëll.“
Les conclusions de Anne Brasseur suite aux résultats luxembourgeois désastreux de l’étude Pisa: Il est faux de dire que cette étude ne vaut rien. Il est faux aussi de céder à la panique et de tomber dans un actionisme aveugle. Il est faux, en outre, de se borner à des reproches continuels. L’étude montre que le système scolaire ne réussit pas à apprendre aux enfants comment appliquer le savoir transmis, qu’il ne prend pas en compte les compétences variées de ces mêmes enfants et que leur milieu socio-économique détermine bien trop le niveau de réussite scolaire – plus vous êtes pauvres, moins bonnes seront vos notes au Luxembourg.
Face à ces conditions inacceptables pour un système scolaire qui se respecte, la ministre veut que les programmes se concentrent dorénavant sur l’essentiel, laissant plus de temps aux élèves de comprendre vraiment ce qu’on essaie de leur enseigner. Vu que ceux et celles qui ne parlent pas le luxembourgeois ont plus de problèmes que les autres, l’approche de commencer l’apprentissage de notre langue très tôt, au préscolaire, est bonne et doit être améliorée. Pour mieux prendre en charge les élèves et reconnaître leurs problèmes le plus tôt possible, la ministre se fie au team-teaching au primaire et à l’introduction du tutorat au secondaire. Mais le plus important resterait la transmission de valeurs comme la politesse et la ponctualité … Revoilà donc cette approche scoutiste judéochrétienne de ce que doit représenter un futur être responsable.
De plus, ce qui sonne si prometteur dans la bouche de Brasseur, ne l’est pas forcément en réalité. Voici les revendications de Monique Adam, institutrice, membre du SEW/OGB-L, à ce sujet: „La réforme des programmes et leur adaptation continuelle devraient être menées par des groupes constitués de chercheurs en sciences de l’éducation, ainsi que de spécialistes des différentes disciplines, de même que d’enseignants, tant du primaire que du secondaire, représentatifs du corps enseignant, donc démocratiquement élus. Ces groupes devraient être dotés des moyens nécessaires pour effectuer un travail sérieux. Quant au team-teaching et au tutorat, ce sont des idées dont l’application en pratique n’a pas encore été évaluée. Ce qu’il faudrait surtout, c’est un plus grand encadrement des élèves en dehors des horaires scolaires sous forme d’activités péri- et parascolaires.“
Le Luxembourg invoque le plus souvent ses exigences multilingues pour expliquer pourquoi ses élèves sont tellement en-dessous de la moyenne européenne. L’exemple finnois, l’un des grands gagnants de l’étude Pisa, démontre pourtant que l’on peut répondre à ces exigences grâce à un système scolaire adapté. La Finlande possède deux langues d’Etat: le finnois et le suédois. Chacune des deux communautés linguistiques dispose de son propre réseau scolaire (du niveau préprimaire à celui universitaire). Tous les élèves apprennent néanmoins les deux langues d’Etat à l’école. S’y s’ajoutent les enfants de langue maternelle sami (lapone), qui ont le droit de suivre un enseignement dans cette langue. Les établissements qui proposent ce type d’enseignement ne peuvent simplement pas bénéficier de fonds publics tant qu’ils n’atteignent pas un nombre minimal d’élèves.
Une toute autre approche de l’enseignement multilingue que chez nous donc. Pourtant, Anne Brasseur a déclaré que, à son avis, les élèves luxembourgeois-es sont trop protégé-e-s contre les frustrations qu’engendre un échec et qu’il faudrait leur réapprendre à gérer ces échecs. Difficile de défendre ce point de vue qui voudrait donc que les enfants du Luxembourg soient trop gâté-e-s face aux frustrations scolaires. „Au contraire, notre situation linguistique n’est certainement pas faite pour faciliter la vie aux élèves“, pense Monique Adam. „Si l’on y ajoute un encadrement défaillant dû, en partie, à la pénurie d’enseignants et au manque d’activités péri- et parascolaires, on peut comprendre qu’ils puissent se sentir désemparés.“