TRANSPORTS AÉRIENS: Y a-t-il un pilote en forme dans l’avion ?

Les pilotes de ligne européens font face aux conséquences de la libéralisation de l’espace aérien : des nouvelles réglementations qui ne prennent pas en compte leurs besoins de repos.

L’on parle souvent de ces « galériens des temps modernes », c’est-à-dire les chauffeurs de poids lourds. Traçant sur les autoroutes des milliers de kilomètres et manquant souvent de repos afin de satisfaire les exigences de clients en attente de leurs marchandises, il n’est pas rare qu’ils remplissent les rubriques des faits divers tragiques. Imaginez alors les conséquences si un pilote d’avion manquait de sommeil.

A l’origine, le transport aérien était très encadré : la convention de Chicago de 1944 établissait la souveraineté complète et exclusive de chaque Etat sur l’espace atmosphérique au-dessus de son territoire. A partir du début des années 90, la donne commence à changer : les Etats-Unis multiplient des accords « open sky » avec un certain nombre d’Etats européens : les Pays-Bas en 1992, l’Allemagne en 1994 et la Belgique, l’Autriche et le Luxembourg en 1995. Ces accords prévoient le libre accès à toutes les lignes, des capacités et des fréquences illimitées et l’autorisation d’opérer sans restriction en tout point de chacun des Etats signataires. Evidemment, ces accords prévoient également la flexibilité tarifaire. Le ciel étant « libéré », il convient désormais d’établir de nouvelles règles de sécurité au niveau européen. Depuis une année, l’Agence européenne sur la sécurité aérienne (AESA) de l’Union européenne planche sur ces règles dénommées FTL (Flight Time Limitation) qui sont destinées à fixer les amplitudes de travail maximales des pilotes de ligne. Or, la proposition est loin de satisfaire les premiers concernés. Dans un communiqué de presse publié cette semaine, Martin Chalk, président de la European Cockpit Association (ECA) déclare que « L’agence a eu une occasion unique de présenter une réglementation FTL solide, fondée sur les connaissances scientifiques et axée sur la sécurité – réglementation qui serait comparable à ce que la FAA (l’autorité fédérale de l’aviation américaine) propose, et aux règles FTL du Royaume-Uni qui sont bien établies et soutenues par l’industrie. Pourtant, cette occasion a été manquée, ce qui met l’UE en bas de l’échelle des règles en matière de sécurité ».

La protestation de l’ECA est compréhensible. En effet, les études scientifiques sur l’horloge biologique du corps humain et ses limites auraient démontré que les limites du temps de travail devraient être fixées à douze heures en journée et à dix la nuit, avec un nombre de services limité. Or, la proposition de l’AESA va au-delà de ces recommandations : elle propose un maximum d’heures en journée établi à quatorze et douze pour les vols de nuit sur sept jours consécutifs. Même les Américains n’osent pas aller aussi loin, la proposition de la FAA fixant une limite de treize heures en journée et de neuf la nuit sur trois nuits consécutives maximales. Selon Paul Reuter, président du SEA-LCGB (Syndicat des employés de l’aviation), cette modération américaine s’explique notamment à cause de l’incident de Buffalo en 2008, dont une des causes possibles aurait été la fatigue du pilote. Depuis, la législation américaine est en cours de modification. La sortie de piste d’un avion à l’aéroport de Keflavik en Islande en 2007 aurait également été la cause d’une équipe fatiguée en service depuis plus de 17 heures.

Comment expliquer l’attitude de l’AESA ? « L’industrie fait un travail de lobbying intense à Bruxelles et cela semble porter ses fruits. Son but est d’atteindre un niveau de flexibilité maximal ». En cause sont notamment les compagnies aériennes « low cost », qui, si elles font le bonheur des voyageurs radins, poussent toute la branche à une course à la réduction des coûts et à une flexibilisation accrue.

Mais le bras de fer n’est pas encore terminé. Au cours de l’année 2011, un Conseil des ministres européens devra trancher. En attendant, l’ECA compte lancer une grande campagne pour faire pression sur les gouvernements. Espérons qu’il ne faudra pas un incident plus grave pour convaincre les décideurs politiques à quel point la libéralisation des transports est « efficace ».


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