AFGHANISTAN: Le dernier carré

L’engagement militaire luxembourgeois aux côtés des puissances occidentales n’est guère mis en question. Difficile d’admettre que l’intervention en Afghanistan a été un échec et qu’il faut en tirer les conséquences.

« Le Luxembourg reste jusqu’en 2014, comme prévu », voilà ce qu’expliquait il y a quelques semaines le ministre de l’armée Jean-Marie Halsdorf en réaction à l’annonce faite par la Belgique de réduire ses troupes en Afghanistan. Position confirmée par une réponse écrite à une question parlementaire publiée cette semaine.

Cet enthousiasme ne surprend guère, car depuis dix ans, le Luxembourg fait figure d’élève modèle dans la grande croisade occidentale contre le terrorisme et pour la civilisation. Certes, il n’a pas les moyens d’être en première ligne dans les montagnes afghanes, ni de bombarder à haute altitude les infrastructures libyennes. Le grand-duché n’a pas non plus toujours été parmi les pays les plus zêlés à appuyer les initiatives américaines. Ainsi, après quelques tergiversations, le gouvernement a pris ses distances avec l’invasion en Irak de 2003 – mais n’a pas pour autant interdit l’utilisation par ses alliés des dépôts militaires locaux et des avions Awacs immatriculés au Luxembourg.

Mais là où le Luxembourg excelle, c’est dans le domaine du soutien moral. Ainsi, alors qu’en France, en Allemagne, en Belgique, l’engagement des forces armées occidentales est soumise à de vives critiques, au Luxembourg on constate une absence complète de débat public à ce sujet. Mis à part les organisations pacifistes, la gauche radicale et quelques éditos dans le woxx, il n’y a pas de mise en question des activités guerrières occidentales soutenues matériellement et financièrement par notre pays.

Cela s’explique : les engagements sur le terrain des soldats luxembourgeois sont en général des activités à risques réduits, comme la garde de l’aéroport de Kaboul, où l’on risque plus de mourir d’ennui que sous le feu ennemi. Mais le mélange d’insouciance et d’ignorance qui caractérise l’opionion publique comme la classe politique est aussi la traduction de l’impression générale que le Luxembourg serait une île. Certes, on observe la crise économique, les guerres et le terrorisme alentour, mais quelque part, on se sent à l’abri et on n’est pas vraiment concernés.

En début de décennie, il fallait du courage pour résister à l’appel d’intervenir afin de combattre le mal – les talibans, Saddam… – et de défendre les droits humains. Depuis, on a vu passer à la trappe tous les idéaux au nom desquels cette croisade avait été lancée. En 2010, les révélations de Wikileaks ont confirmé les pires soupçons en matière de crimes de guerre commis par les Occidentaux et auraient dû ouvrir les yeux aux plus naïfs. Enfin, récemment on a eu confirmation officielle que les Etats-Unis négociaient avec les talibans… présentés auparavant comme le mal absolu.

Pour aboutir à cela, on a martyrisé un pays pendant dix ans. On nous a occulté les réalités complexes de l’Afghanistan, menti sur la conduite de nos troupes, miroité du nation-building et combiné l’action militaire avec l’humanitaire – ruinant ainsi le travail des ONG. On a accumulé les « dommages collatéraux », mis en place des politiciens pro-occidentaux corrompus, glané des avantages économiques quand c’était possible, et surtout on a récolté une haine fort compréhensible contre l’occupant. Et voilà qu’après dix ans on décide d’emprunter la voie politique – qui risque de conduire à une solution peu réjouissante – parce que la voie militaire, de facto une sorte de guerre coloniale, ne produit que ruine et chaos. Ce qui n’a pas empêché les stratèges anglo-français de remettre ça en Libye, alors que les Etats-Unis semblent être devenus plus prudents.

Prudence ? Pas pour le Luxembourg. A écouter Halsdorf, on a l’impression que même si tout le monde quitte le navire afghan, nos soldats resteront. N’a-t-il pas rappelé que la défense de l’aéroport de Kaboul devait être assurée et que le rôle luxembourgeois pouvait changer ? Rêve-t-il à jouer les Cambronne commandant le dernier carré lors du sauve-qui-peut général de la bataille de Waterloo ?

Voici que l’élève modèle dépasse le maître… en matière de déni de la réalité et d’obstination aveugle.


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