CATTENOM-CONNECTION: Circulez, électrons!

La connexion directe d’Arcelor à la centrale de Cattenom brise un tabou, affirment les anti-nucléaires. Mais leur combat est affecté par la libéralisation du marché européen de l’électricité.

Partout en Europe, le nucléaire semble avoir le vent en poupe. La Finlande entame la construction d’un nouveau réacteur European Pressurized Water Reactor (EPR), la France a décidé de se doter d’une centrale de même type. Même l’Allemagne, où la sortie – au ralenti – du nucléaire semblait acquise, pourrait relancer la filière si la coalition rouge-verte était battue aux prochaines élections. Et au Luxembourg, officiellement anti-nucléaire depuis des décennies, le gouvernement est prêt à autoriser Arcelor à se connecter directement sur le réseau français, alimenté à 80 pour cent en nucléaire.

„Un tabou sera brisé!“, s’est indigné le Mouvement écologique. Jeannot Krecké, ministre de l’économie en charge de la politique énergétique, estime que cette critique passe à côté du sujet. „Dès aujourd’hui, Arcelor peut acheter du courant nucléaire en France, en passant par le réseau belge“, a-t-il rappelé sur RTL. Et le Quotidien cite un responsable d’Arcelor expliquant: „Il n’y a pas de différence entre un électron issu du nucléaire et un électron issu de l’énergie éolienne, par exemple.“ Les écologistes n’auraient donc rien compris ni à la libéralisation des marchés de l’énergie ni à la nature du courant électrique.

Blanche Weber, présidente du Mouvement écologique, récuse cette idée qu’une kilowattheure „jaune“ – issue du nucléaire – vaudrait une kilowattheure „verte“. Interrogée par le woxx, elle affirme qu’avec les réglementations européennes récentes, il est plus facile que jamais de connaî tre l’origine du courant électrique. La présidente du Mouvement qualifie de platitude le constat que l’électricité de sources diverses se mélange avant d’arriver chez la clientèle. Ce qui compte à ses yeux, ce n’est pas d’avoir du „pur renouvelable“ sur la prise de courant, mais de savoir qui l’on soutient à travers sa facture d’électricité. Acheter du courant „jaune“ contribue à amortiser les centrales comme Cattenom, acheter du „vert“ permet de financer de nouvelles unités de production d’énergie renouvelable. La ligne de haute tension demandée par Arcelor faciliterait le recours au nucléaire. L’organisation écologiste fait donc appel au gouvernement de refuser l’autorisation de construire.

Jaune ou vert?

Face à ce choix, le gouvernement, et le ministre de l’économie en particulier, ne se prononcent pas sur le fond. Pourtant, l’accord de coalition précise: „Le Gouvernement maintient son attitude critique sur l’énergie nucléaire, qui ne constitue pas une solution acceptable aux défis du changement climatique.“ Pour Jeannot Krecké, la question de l’origine nucléaire du courant ne se pose pas. La construction de la ligne est soumise à une procédure „commodo“, et c’est au ministre de l’environnement de trancher en fonction de l’impact direct sur l’environnement. „Moi, je n’ai pas d’autorisation à donner“, a-t-il affirmé. Or, dans sa prise de position de 16 pages, le Mouvement écologique affirme que juridiquement un feu vert du ministère de l’économie est indispensable pour toute construction d’une ligne de haute tension, en tenant compte des aspects de politique énergétique. C’est sur cette base que le Mouvement prétend empêcher la connexion à Cattenom.

D’autres arguments sont avancés par des critiques du projet d’Arcelor. Greenpeace a fait de l’impact sur l’environnement son cheval de bataille: le tracé de la ligne traverse une zone de protection naturelle. Ce fait a également été mis en avant par les trois communes ayant donné un avis négatif dans le cadre de la procédure „commodo“. C’est un choix tactique discutable. En effet, les responsables d’Arcelor assurent qu’ils feront tout pour minimiser l’impact sur l’environnement de la connexion. Ainsi, les argumentations basées sur la simple protection de la nature risquent de faire long feu.

Des divergences existent également au sein des anti-nucléaires en ce qui concerne l’aspect de la sécurité d’approvisionnement. En effet, en plus de faire valoir le droit de se connecter librement, les responsables d’Arcelor agitent le spectre de la panne d’électricité: 4.000 emplois se rattacheraient à cette nouvelle ligne de haute tension. Le „Journal“ cite Michel Wurth, vice-président de la société: „Si le réseau belge s’effondre, nos ouvriers se retrouvent au chômage pour plusieurs mois.“ Pour éviter un tel scénario, il faudrait prévoir une deuxième connexion avec un réseau étranger, affirment les responsables. L’alternative d’une ligne directe serait une interconnexion permanente entre le réseau Sotel, qui dessert essentiellement les usines d’Arcelor, et le réseau Cegedel, qui dessert le reste du pays. Ce dernier étant relié au réseau allemand, la sécurité d’approvisionnement serait assurée.

Cette option n’est pas souhaitable, car elle induirait des fluctuations de courant au sein du réseau Cegedel, expliquent les responsables d’Arcelor. Une évaluation que confirme Claude Turmes, député Vert européen et expert en la matière. Il ne s’oppose pas moins à la ligne directe vers Cattenom et recommande de mettre en place un dispostif d’interconnexion d’urgence en cas de panne. Greenpeace par contre tire argument de la possibilité d’interconnecter de façon permanente les réseaux de Sotel et de Cegedel pour affirmer qu’alors „il n’y aura plus aucune nécessité de construire une nouvelle ligne haute tension.“ Blanche Weber se montre également sceptique: „Les ampoules s’éteindront sans le nucléaire, nous a-t-on raconté quand il s’agissait de construire Remerschen. Maintenant, on nous parle d’ampoules qui vacillent.“

Electrons libres

La présidente du Mouvement considère l’argument de la sécurité d’approvisionnement comme un prétexte. Le véritable but serait d’acheter du courant nucléaire au meilleur prix, en évitant de le faire transiter par le réseau belge. „C’est pas qu’ils en auraient besoin“, s’offusque-t-elle, „la turbine gaz-vapeur d’Esch-Belval leur permet d’avoir un prix de revient très concurrentiel.“ La grande inquiétude des opposant-e-s est toutefois que l’attitude d’Arcelor pourrait faire tâche d’huile. Soit que d’autres sociétés passent des contrats avec EDF, soit qu’elles se fournissent en électricité à bas prix auprès de Sotel. Cela fait partie des intentions de Sotel, qui annonçait déjà en 2003: „Les entreprises consommant au moins neuf GWh par an peuvent désormais faire appel au fournisseur de leur choix. C’est dans ce cadre que la Sotel entend offrir une alternative concurrentielle et développer ses activités de fournisseur.“

L’indignation des anti-nucléaires est compréhensible, mais un peu naï ve. En effet, le but de la libéralisation du marché européen de l’électricité était de déclencher une telle dynamique. La recherche du profit devait aboutir à une optimisation des structures de production et de distribution et une plus grande compétitivité des entreprises. Le propre de la libre circulation des biens et des services est qu’elle ne se soucie pas de la manière dont ces biens et services sont produits, qu’il s’agisse d’une voiture, d’une transaction financière ou d’une kilowattheure. Le choix d’Arcelor est en accord avec cette logique de recherche du profit et de mise en concurrence.

„Nous n’avons jamais soutenu la libéralisation du marché de l’électricité. Mais plutôt que de mener un combat désespéré contre elle, nous avons essayé de l’influencer dans notre sens“, se défend Blanche Weber. Claude Turmes, auteur du rapport sur la deuxième directive de libéralisation au parlement, continue à trouver du bon à la logique du marché: „On a aujourd’hui le choix d’acheter de l’électricité verte plutôt que jaune. Avant, on avait beau se dire anti-nucléaire, il fallait prendre ce que Cegedel voulait bien fournir.“ Comme si l’appel à la concurrence entre producteurs et à la responsabilité des consommateurs était la seule alternative aux monopoles publics sclérosés d’antan. Il est vrai que du côté de la gauche anti-libéralisation, les discours continuent à mettre l’accent sur la défense des „acquis sociaux“ plutôt que sur les considérations écologiques et économiques.

Choix des armes

Si Claude Turmes apparaî t un peu comme un apprenti-sorcier, il n’est toutefois pas à court d’idées pour combattre les démons que le marché a engendrés. Pour attaquer le nucléaire dans une logique de marché, il l’accuse de concurrence déloyale. En effet, si le courant produit dans les centrales est bon marché, c’est aussi grâce aux aides étatiques lors de leur construction. En outre, les sociétés comme EDF se servent de la puissance financière que leur confèrent les réserves obligatoires en vue du démantèlement des centrales.

Autre talon d’Achille: le traité Euratom. Avec la nouvelle constitution européenne, il suffira d’une majorité simple pour obtenir une révision de ce traité outrageusement pro-nucléaire, explique Claude Turmes dans le cadre de sa campagne pour le oui au référendum. Mais il ne mentionne plus un autre point, mis en avant auparavant: la pétition en cours contre Euratom. Contrairement à ce qui a pu se dire, il s’agit d’une simple pétition politique et non d’une „initiative citoyenne européenne“ telle que prévue par la constitution. Ces dernières ne peuvent s’appliquer au traité Euratom. Il est donc tout à fait envisageable de signer la pétition et de voter non au référendum.

Les plus grands obstacles pour le nucléaire ne se situent de toute façon pas au niveau des institutions politiques, mais plutôt au niveau économique et sociétal. Le fameux réacteur finlandais est un cas isolé – il alimentera l’industrie papetière qui a besoin d’un flux constant d’énergie. Ce besoin n’existe pas en France, déjà en surcapacité, et de nombreu-ses-x expert-e-s pro-nucléaires rejettent le projet du nouveau réacteur. Enfin, mis à part le coût d’investissement dissuasif, les financiers potentiels sont inquiets des risques émanant des opinions publiques. En cas de nouvel accident grave, des centrales pourraient être fermées et le capital investi serait perdu. Espérons qu’un tel accident n’aura pas lieu à Cattenom … 4.000 ouvriers d’Arcelor se retrouveraient au chômage.


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