Les tractations politiciennes ont indubitablement aggravé la crise de l’euro. Pourtant, ce n’est pas des gouvernements d’experts qu’il nous faut, mais de l’audace politique.
Le Luxembourg est bien une île. Lundi prochain, une centaine de cadres du LSAP se réuniront pour désigner, selon un rituel hautement politicien, le nouveau ministre de l’économie. Et il est tout à fait possible que celui-ci sera moins expert, moins technocrate, que son prédécesseur Jeannot Krecké, considéré comme tel malgré ses antécédents de jeune militant écolo-socialiste.
Or, en Grèce, en Italie, en Espagne, ce sont justement les experts qu’on va chercher pour former des gouvernements « neutres », capables d’imposer les « mesures nécessaires » sans s’embrouiller dans des manoeuvres politiciennes. Cela permettrait, nous dit-on, de rassurer les marchés et d’éviter un nouveau krach.
Mission accomplie ? Oui, si on adhère à l’explication « c’est le surendettement des ménages et des Etats qui a causé la crise », que continuent à supporter les économistes et journalistes servant les intérêts du capital financier. Il faudrait alors faire pénitence et calmer les marchés, irrités à juste titre. Non, si on pense que la crise est la conséquence de la libéralisation financière et d’un mauvais partage des richesses. Dans ce cas, pour mener une politique de sortie de crise, il faudra au contraire affronter les marchés.
En effet, cela implique de réguler sévèrement la finance, mais surtout d’augmenter les impôts plutôt que de recourir aux politiques d’austérité. Les Etats auront besoin de ressources considérables : il s’agira de renflouer le système de crédit et de relancer l’économie, mais aussi de financer l’écologisation de nos modes de vie et de production et de supporter les coûts engendrés par les méfaits environnementaux passés.
Mener une politique fiscale différente et mettre au pas les banquiers devra-t-il se faire dans un cadre national, comme le pense une partie de la gauche ? C’est ce que semble indiquer l’expérience des décennies d’après-guerre : l’absence de libre circulation des capitaux donnait alors aux gouvernements nationaux la possibilité de taxer l’épargne de manière conséquente et d’imposer leur loi aux marchés. Or, depuis, la mondialisation a modifié la structure de nos économies, et des pays de taille moyenne comme la France n’ont plus la masse critique pour prospérer de manière isolée. Surtout, une « démondialisation » conduirait chaque pays ou bloc économique à essayer d’externaliser les coûts de ses politiques. Face à des problèmes intrinsèquement mondiaux tels que le changement climatique, cela conduirait au désastre, sans parler du risque accru d’affrontements militaires.
Pourtant, l’autre voie, celle d’une sortie de crise coordonnée au niveau mondial, apparaît également difficile à mettre en oeuvre. Les pays devraient trouver un large accord permettant de réguler la sphère financière, d’harmoniser leurs fiscalités et d’endiguer l’évasion fiscale à l’échelle planétaire. Ce n’est pas impossible, notamment si des entités comme l’Union européenne frayent la voie. Après tout, ce qu’a accompli Franklin D. Roosevelt avec le « new deal » paraissait tout aussi irréaliste au début des années 30.
Clairement, une rupture avec à la fois la fixation nationale et l’orientation libérale des politiques ne se fera pas du jour au lendemain. Il faudra que ces questions se retrouvent au centre du débat public et que des politiciennes et politiciens aient la clairvoyance et le courage de s’engager dans cette voie. Quant aux gouvernements d’experts, ils nous font juste perdre du temps.