LA MONOPARTITE A PARLÉ: Modulations et boules de gomme

Indexation maintenue mais modulée, mesures sociales mais sélectives. Qui, des syndicats et des patrons, a remporté ce match de tripartite qui n’a pas eu lieu ?

« La crise continue à être supportée sur le dos du salariat », estime Déi Lénk en réaction aux décisions du conseil de gouvernement de vendredi dernier. Ils s’insurgent en particulier contre les énormes « profits pour le patronat que représente l’échelonnement des tranches d’index jusqu’en 2014, alors qu’« il n’y a pas de nécessité économique objective » pour cela. Cette mesure, sans doute la plus importante en volume, avait toutefois déjà été acceptée par les syndicats au préalable. Quant aux revendications patronales, elles ont pour la plupart été ignorées, à commencer par les moratoires sur l’indexation et le salaire minimum.

Alors, l’absent a-t-il eu raison ? Rappelons qu’en lançant un ultimatum aux patrons, les syndicats avaient fait capoter la tripartite prévue pour vendredi. Peut-être espéraient-ils renouer avec l’expérience de 2010, où l’échec des négociations avait été suivi par des décisions gouvernementales prudentes. En fin de compte, les syndicats avaient pu sauver l’essentiel, sans pour autant être tenus responsables des décisions plus douloureuses. Cette fois-ci encore, leur manoeuvre leur a permis de sauver la face, mais à quel prix ?

Clairement, limiter l’indexation des salaires à une tranche par an arrange le patronat. Cela donne une grande prévisibilité au coût nominal des salaires, et en cas d’inflation galopante, cela revient à une baisse non négligeable des revenus réels. Tant pis pour les salariés, dont les dépenses quotidiennes, les loyers et les remboursements de crédit vont augmenter de manière imprévisible… Moins douloureuse, mais bien plus dangereuse est la décision d’enlever le tabac et l’alcool de l’échantillon de produits utilisés pour mesurer l’inflation. Il s’agit d’une première brèche dans ce fameux « panier de la ménagère », par laquelle s’échappera bientôt – le gouvernement l’a annoncé – une partie du renchérissement dû au prix du pétrole. L’impact à terme sera considérable, et le gouvernement a clairement franchi une ligne rouge tracée par les syndicats.

Bien entendu, lors de la présentation des mesures, Jean-Claude Juncker a servi une fois de plus l’argument fallacieux d’un index qui favoriserait les revenus élevés : « A chaque tranche, avec mon salaire de premier ministre, j’empoche énormément d’argent. » Ce qui est complètement juste pour le salaire nominal… et complètement faux pour le salaire réel, c’est-à-dire le pouvoir d’achat. Juncker n’étant pas un imbécile, c’est donc qu’il nous prend pour des imbéciles.

Cela dit, l’indexation n’est qu’accessoirement un instrument de justice sociale (woxx 1071), ce qu’on peut trouver gênant. Mais alors, pourquoi ne pas simplement augmenter les impôts, surtout sur les revenus élevés ? Il est vrai que si Juncker évite le sujet, les syndicats ne sont guère moins ambigus puisqu’ils ne l’abordent que sur le plan théorique. Ainsi, rendre le système fiscal plus juste ne faisait pas partie de la plateforme avec laquelle ils ont abordé la tripartite.

Le bilan des autres mesures décidées par le conseil des ministres est tout aussi ambivalent. A part l’ajustement du salaire minimum, on se démarque de la logique universaliste. Au lieu d’augmenter les allocations familiales, comme l’avaient exigé les syndicats, le gouvernement privilégie une aide ciblée pour les ménages nécessiteux : sur demande, ils recevront un chèque de 500 euros par an, plus un bon pour acheter des livres scolaires pour chaque enfant. Même l’amélioration des remboursements dentaires, dont le ministre de la santé parle depuis sept ans, sera peut-être réservée à « ceux qui ont besoin que l’Etat les aide ». L’idée d’un Etat qui agit au nom de la solidarité plutôt que de la charité est passée à la trappe.

En fin de compte, le paquet de mesures présenté par le gouvernement n’est certainement pas anti-social dans ses effets. Il franchit cependant plusieurs lignes rouges, il fragilise le principe de l’indexation des salaires et il sape les fondements du modèle social universaliste luxembourgeois.


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