Cette semaine, les « Frënn vum Resistenzmuseum » d’Esch ont tenu leur assemblée sous de sombres perspectives. La question de l’avenir du Musée national de la Résistance se pose plus que jamais.
« Je ne suis pas venue ici pour me plaindre », a déclaré la bourgmestre d’Esch, Lydia Mutsch, lors de l’ouverture de l’assemblée générale de l’association de soutien au musée de la Résistance. Pourtant, les mines de la trentaine d’adhérents coincés sur des chaises dans le hall du musée n’étaient pas souriantes. Et pour cause : la rénovation et l’extension du musée promises et prévues tant de fois aussi bien par l’Etat que par la commune ont disparu du budget pluriannuel de l’Etat. Ainsi, le musée de la Résistance semble être une victime de l’austérité. « Les choses pourraient être autrement, il pourrait n’y avoir aucun musée de cette sorte, ne l’oublions pas », a encore tenté de rassurer l’édile locale socialiste en faisant tout de même l’effort de considérer le musée comme « partie intégrante » du futur « carré culturel » eschois qui sera composé du théâtre d’Esch – récemment renové à grands frais -, de la « Casa d’Italia », l’ancien consulat italien racheté par la commune et réamenagé en maison associative et de la nouvelle place du Brill qui devrait être prête dans peu de temps. Et comme si elle savait que cela ne suffirait pas, Mutsch a encore ajouté que la commune venait d’acheter la maison mitoyenne entre le musée de la Résistance et la « Casa d’Italia » pour laquelle on pourrait imaginer un lieu de stockage qui pourrait éventuellement servir pour le musée. Mais entre-temps, on reste dans le gris du conditionnel et les promesses concernant le musée pourraient bien remplir une galerie entière.
Alors qu’on est dans le droit de se demander pourquoi un tel musée est tellement négligé par la politique et les institutions : « Ce bâtiment est bien plus qu’un musée et surtout pas un musée comme les autres », insiste le président de l’association, ancien échevin eschois ainsi qu’ex-président du musée André Hoffmann. Pour lui, le musée représente la mémoire de celles et de ceux qui par leur travail et leur résistance ont défendu l’indépendance, la liberté et les droits de l’homme. « Bon, je ne veux attaquer personne, mais à la différence d’un musée du vin ou d’un musée d’art contemporain, le musée de la Résistance représente bel et bien une partie de la réalité.
Plus qu’un musée
Une réalité qui est loin d’avoir disparu, si on regarde l’actualité qui démontre que de telles choses – qui se sont passées il y a plus de 60 ans – sont toujours ou redeviennent possibles », ajoutait Hoffmann avec le regard tourné vers la Norvège où l’extrémiste de droite Anders Behring Breivik est en train d’être jugé et ne semble pas connaître la notion de remords. Mais aussi au niveau local, le musée fait toujours des vagues dans les milieux populistes et extrémistes de droite, comme le démontrent les attaques régulières de membres des « Lëtzebuerger Patrioten » sur les réseaux sociaux ou encore des menaces reçues d’un négationniste il y a quelques mois.
Pour Hoffmann, le musée ne peut pas fonctionner dans son état actuel pour plusieurs raisons. D’abord, le manque de place qui rend impossible la tenue d’expositions temporaires et la visite de l’exposition permanente en même temps. Sans mentionner les activités parascolaires et autres qui doivent se tenir dans l’ancien « hall sacré » du musée, qui a dû être désacralisé pour l’occasion. Autant dire qu’une rénovation des halls vétustes ne ferait aucun sens sans extension. Même le président de la Chambre des députés, Laurent Mosar, lors d’une récente visite, s’est fendu d’une petite phrase quant à l’état du musée : « Nous devrions avoir honte ». Et Hoffmann d’enfoncer le clou : « Je ne comprends absolument pas comment les notables restent incapables de s’engager pour ce musée, alors qu’ils adorent s’y faire photographier trois fois par an pour les journées de commémoration nationale ».
Les raisons pour ce désengagement ou non-engagement sont peut-être à chercher dans l’histoire mouvementée du musée, qui a fait l’objet de plusieurs polémiques. Inauguré en 1956, une époque où Esch était bien rouge, le musée n’a pas été une institution neutre, loin de là. Il s’agissait surtout de construire un lieu de mémoire illustrant les luttes contre l’occupant extérieur, mais aussi contre l’ennemi intérieur : la droite catholique qui voulait museler les communistes ou les collaborateurs et autres opportunistes. Le musée a rempli un besoin, celui d’avoir un lieu de mémoire différent où l’histoire est racontée d’un point de vue engagé et de gauche. Ce n’est pas pour rien que les classes populaires aimaient l’appeler « le musée rouge ». L’architecture qui évoque aussi bien un temple grec que les pires crimes esthétiques de l’époque nazie – ironie de l’histoire, probablement – illustre en tout cas ce besoin de créer quelque chose de monumental et de définitif. Les craintes sont grandes que cette mémoire pourrait disparaître ou être hypothéquée au profit de l’oubli souvent propagé par les élites conservatrices tentées par un grand coup d’éponge surtout sur certains détails concernant aussi bien la collaboration qu’une certaine résistance. Sûr que cela n’a pas été au goût de tout le monde.
Point de cristallisation
C’est en 1987 qu’une autre bataille éclate. Lors d’une première rénovation du musée, une nouvelle exposition permanente doit remplacer celle d’origine qui – de l’avis de tous – manquait de cohérence. Cette histoire révèle alors une énorme lacune dans le travail de mémoire luxembourgeois qui n’est même pas encore achevé. En tout cas, une querelle historique teintée idéologiquement éclate et laisse entrevoir quelques pans plus désagréables de la Résistance luxembourgeoise. A savoir que résistant à l’occupant n’est pas toujours égal à résistant au fascisme et à l’antisémitisme. La bataille autour de la « vitrine numéro un », où devaient être exposés des pièces expliquant les différends idéologiques d’avant-guerre est perdue par les historiens plutôt de gauche et elle disparaît après de grosses pressions politiques. Ainsi, le musée de la Résistance aura été aussi un lieu de cristallisation de mémoires opposées d’une période difficile. Une exposition sur les différents courants idéologiques de la Résistance serait probablement une idée à retenir.
Et depuis ? Rien. Ou presque. Si le musée est toujours le même, du moins il dispose d’un nouveau directeur ultra-engagé en la personne de Frank Schroeder, qui est prêt à tout pour faire avancer son musée. La prochaine étape sera une pétition qui est en train de circuler tant dans les rues que sur internet. « Nous la remettrons au président de la Chambre des députés à la date symbolique du 11 novembre cette année », assure André Hoffmann, qui espère que Laurent Mosar tiendra ses promesses de faire pression pour faire avancer ce dossier, surtout en invitant le ministre d’Etat (qui a sous sa tutelle la Résistance), Jean-Claude Juncker ainsi que les commissions parlementaires responsables de la culture et des infrastructures à effectuer une visite.
Le futur du « musée rouge » n’est donc pas rose. Mais que faire pour sortir de l’impasse ? Du lobbying comme le fait l’association de soutien ne suffira probablement pas. Peut-être qu’il manque toujours un concept clair à cette institution qui est d’autant plus difficile à trouver que les opinions face à la Résistance divergent toujours dans les milieux historiens. Faudrait-il qu’il sorte de son carcan historique et qu’il devienne le musée de toutes les résistances ? Ou devrait-il rester un contre-poids mémoriel qui risque de crouler sous les poussières ? L’avenir le dira?
La pétition peut être trouvée (et signée) sous: http://resistance.petitioun.lu/
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