DELOCALISATIONS: Face au monde

Les fermetures d’unités de production chez TDK et Villeroy confirment que le Luxembourg n’est pas une île.
Dans la course au moins-disant social et fiscal, il risque d’être perdant.

Une holding nous reste toujours. Qu’il s’agisse de l’arrêt de production chez TDK, du dépérissement de Villeroy ou de la fermeture prévisible des aciéries électriques Arcelor ou Mittal, il est probable que des structures administratives et financières seront maintenues au Grand-Duché. Voilà qui illustre à merveille l’analyse que les économistes font des délocalisations: mauvais pour les salariés, bon pour les entreprises. En effet, ces dernières réduisent leurs coûts, augmentent leurs bénéfices, et se servent de la place financière pour „optimiser“ leur charge fiscale. Reste à savoir si, le jour où il n’y aura plus que des holdings au Luxembourg, celles-ci payeront assez d’impôts pour financer les traitements des fonctionnaires, les allocations des chômeurs et les „cinq sixièmes“ des retraités?

Le dumpeur dumpé

En attendant, on préfère parler de „restructurations“. TDK ne délocaliserait pas la fabrication de DVD, mais arrêterait d’en produire. Villeroy serait obligé de licencier à cause des gains de productivité et se plaint de la concurrence asiatique. Or le fabricant de céramique est soupçonné de faire produire lui-même en Asie, et TDK continuera de vendre des DVD, quitte à en sous-traiter la production. Il est vrai que le terme de „délocalisation“ n’a pas de sens véritable à l’échelle du Grand-Duché. La plupart des biens fabriqués étant destinés à l’exportation, toute production industrielle luxembourgeoise constitue une délocalisation par rapport aux pays destinataires. „Le Luxembourg a profité, pendant des années, de la délocalisation des autres“, estime Kik Schneider, directeur chez Fortis, dans un entretien accordé à Paperjam. Le mouvement de pendule serait en train de s’inverser et les entreprises re-délocaliseraient de nouveau.

En fin de compte, le Grand-Duché est touché par un mouvement global qui fait partir des chaî nes de fabrication depuis l’Europe de l’Ouest et les Etats-Unis vers des pays du Sud, notamment la Chine et l’Inde. La raison principale: les coûts salariaux, ainsi que la faiblesse de contraintes en matière de droit du travail et, accessoirement, de droit environnemental. Parfois, des délocalisations obéissent à d’autres rationalités, comme dans le cas de la fermeture de la WSA: l’entretien du matériel de l’armée américaine se fera désormais plus près des „consommateurs“.

Interrogé par le woxx, le président de l’OGBL Jean-Claude Reding reconnaî t: „Nous ne pouvons pas garder toute l’industrie au Nord. Certaines délocalisations correspondent à des avantages comparatifs réels comme la présence de matières premières ou les conditions climatiques.“ Mais la plupart des redéploiements d’activités seraient provoqués par le dumping social et fiscal. Il donne l’exemple des sociétés de transport, qui ont été attirées par le niveau d’impôts au Grand-Duché, mais qui risquent de repartir aussi rapidement qu’elles sont venues. „On ne peut pas continuer dans cette spirale de dumping fiscal“, dit Reding.

Pas de panique

Un autre souci des syndicats est le risque de chantage: lors de négociations salariales, la direction peut évoquer la possibilité de partir à l’étranger, même si elle n’en a pas l’intention, afin d’obtenir des concessions. Car en réalité, l’impact des délocalisations est limité. Lors d’une conférence à la Chambre de Commerce en automne dernier, l’expert français Lionel Fontagné a cité une estimation de l’OCDE selon laquelle un cinquième de l’emploi au sein de l’UE serait délocalisable. „Mais délocalisable ne veut pas dire délocalisé.“ Selon l’expert, des considérations sur la qualité du travail et la sécurité juridique empêcheraient le passage à l’acte. En France, sur 800.000 emplois „délocalisables“, seulement 10.000 auraient été perdus, selon une évaluation du ministère des Finances.

A terme cependant, le phénomène pourrait s’accélérer. Alors que pour les biens industriels, les frais de transport et de douane jouent un rôle de frein, une partie des services est complètement dématérialisée. Les secteurs de l’informatique, des assurances et des banques présentent un potentiel de délocalisation énorme, grâce aux progrès des technologies de communication. Le réflexe de certains de faire une croix sur les activités industrielles au Luxembourg et de ne miser que sur le secteur financier se révèle être une fausse bonne idée.

Que faire? Selon Lionel Fontagné, „le problème, ce ne sont pas les emplois perdus, mais l’insuffisance de création d’emplois“. Créer des emplois, mais comment? „Si les DVD n’étaient plus rentables, TDK aurait pu continuer avec un nouveau produit comme les HD-DVD, générant une valeur ajoutée suffisante“, raisonne Jean-Claude Reding. Il n’exclut pas qu’il y ait eu des erreurs de management. Le diagnostic de Kik Schneider diffère: En matière de compétitivité, „le coût du travail – le salaire minimum – n’aide pas certaines sociétés“.

Libérer ou réguler?

De nombreux économistes européens rejettent cependant l’idée de massivement baisser les standards sociaux. D’une part cela réduirait encore la consommation sur le marché intérieur, réduisant d’autant l’intérêt de maintenir des sites de production en Europe. D’autre part une dégradation générale de la situation sociale enclencherait un cercle vicieux détruisant précisément les avantages compétitifs par rapport aux pays du Sud: stabilité politique, infrastructures performantes et contexte favorable à la recherche et à l’innovation. Dans le cas du Luxembourg, qui a un retard à rattraper en matière d’enseignement et de recherche, il s’agit aussi de ne pas faire des économies aux dépens de ces domaines.

Jean-Claude Reding plaide aussi pour une „politique industrielle dans la Grande Région“. Cela permettrait de dépasser la situation où des entreprises sont racolées, puis repartent au bout d’une dizaine d’années. „Pour développer des pôles de compétence, il faut pouvoir offrir aux salariés une sécurité d’emploi dans leur secteur.“ Reding compte sur une étude prospective du Conseil économique et social de la Grande Région pour faire des propositions en ce sens avant l’été.

Plus généralement, le syndicaliste voit dans les délocalisations une conséquence de la mondialisation. „Le problème, c’est qu’il n’y a que des règles commerciales, mais aucune régulation sociale ni écolomique.“ C’est à travers une convergence des standards du Sud vers ceux du Nord que les deux côtés pourraient profiter des mutations économiques. Reding rappelle qu’aux origines de l’Union européenne, la Communauté européenne du charbon et de l’acier avait mené une politique industrielle, restructurations comprises. „Cette idée fondatrice semble s’être perdue. Aujourd’hui, l’Union défend un point de vue purement libéral au niveau de l’OMC. Les dimensions sociale et écologique de la mondialisation se retrouvent bien dans les discours, mais pas dans les actes.“


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