LYCEES: Apprendre à copier

Le fameux travail personnel promet de faire renaître les bibliothèques scolaires, longtemps mal intégrées et peu fréquentées.

Ni cave ni grenier : la bibliothèque du Lycée Ermesinde

A l’intérieur d’un système scolaire caractérisé depuis toujours par le simple « par c?ur », les bibliothèques scolaires ont pendant longtemps été complètement délaissées par les étudiants, négligées par la loi et les directeurs des établissements, et ne jouaient qu’un rôle très marginal dans le fonctionnement quotidien des lycées. Il ne faut cependant pas généraliser, puisque l’état des bibliothèques varie très fortement d’un établissement à l’autre.

Ainsi trouve-t-on des grosses différences dans la quantité des documents disponibles aux élèves : 60.000 pour la plus grande et 1.800 pour la plus petite bibliothèque. Il est évident que les nouveaux lycées ont besoin d’un certain temps pour pouvoir se constituer, alors que d’autres établissements plus anciens possèdent un fonds assez conséquent. Or, il peut aussi y avoir des raisons budgétaires, puisque les lycées possèdent une autonomie financière. En l’absence totale de contraintes imposées par le ministère, certaines bibliothèques peuvent ainsi se retrouver avec un budget assez limité.

D’après Jean-Marie Reding, président de l’association luxembourgeoise des bibliothécaires, archivistes et documentalistes (Albad), la qualité d’une bibliothèque scolaire dépend avant tout de la bonne volonté du directeur de l’établissement : « Il y en a qui favorisent leur bibliothèque et il y en a qui la laissent de côté ». Même si Reding ne le dit pas, on peut soupçonner que cela dépend aussi en grande partie de la motivation du bibliothécaire.

En ce moment, on compte 19 bibliothécaires pour 32 lycées, et pour le reste, ce sont des enseignants qui s’en occupent en marge de leurs cours, ce qui signifie bien sûr des heures d’ouverture réduites. Anne-Marie Antony, coordinatrice des bibliothèques scolaires au Script (Service de coordination de la recherche et de l’innovation pédagogiques et technologiques), aimerait bien que chaque lycée ait son bibliothécaire, mais admet que « cela n’est pas si facile que ça ». Un des grands problèmes est notamment le manque de personnel qualifié au Luxembourg, puisqu’il n’y a que très peu de bibliothécaires en possession d’un « master ».

Enfin, on trouve au moins six différents systèmes de catalogage, et beaucoup de catalogues ne peuvent pas être consultés ni sur internet ni sur intranet. Selon Reding, il faudrait homogénéiser tous ces systèmes et créer un catalogue communautaire, alors qu’Antony trouve que ce serait « un trop grand effort ».

Des centres de détention

Or qui dit grosses différences en ressources budgétaires, matérielles et humaines, dit nécessairement grosses différences en qualité. En vue de l’installation du travail personnel, il paraît essentiel que ces inégalités qui existent entre les lycées soient réduites, afin que chaque élève ait accès à une bibliothèque du même standard.

Mais, selon Antony, « il n’y a pas de directives du ministère, seulement un texte global sur les missions ». De son côté, Reding trouve que c’est « extrêmement important qu’il y ait plus de réglementation », même s’il est contre un budget fixe défini par la loi et pour « le maintien de l’espace libre ». Il déplore cependant le fait que « la seule chose que la loi de 2004 ait faite, c’est que les lycées ne peuvent plus supprimer la bibliothèque, mais en fin de compte elle ne reste toujours qu’un appendice ».

La localisation des bibliothèques dans beaucoup de lycées est exemplaire de cette attitude bien ancrée dans la tradition nationale de l’enseignement secondaire : c’est ou bien la cave, ou bien le grenier. De surcroît, elles ne sont pas utilisées comme lieu de découverte ou de divertissement, sinon comme salle de retenue, où l’on envoie ceux qui ont été mis à la porte. Reding : « Ces gens vont forcément être dégoûtés par les bibliothèques, puisqu’ils les perçoivent comme des centres de détention ! ».

Dans le monde des bibliothèques scolaires, il y a deux grands pays modèles : les Etats-Unis et la France. Aux Etats-Unis, le système scolaire est basé en grande partie sur le travail autonome des étudiants, et chaque école a son « School Media Center » avec un bibliothécaire qualifié. « Ces gens-là sont entraînés à enseigner les méthodes de la recherche scientifique », préconise Reding. « Au Luxembourg, nous avons un grand retard dans cette matière ».

Anne-Marie Antony vante plutôt le système français, même si elle admet qu’il ne fonctionnerait pas tel quel au Grand Duché. En France, le poste de professeur documentaliste fut créé en 1990, et les « travaux personnels encadrés » existent depuis 1997. « Mieux vaut tard que jamais », s’est donc probablement dit Mady Delvaux-Stehres, ministre de l’Education nationale, et voilà que la ministre envisage d’installer un tel travail personnel au Luxembourg afin d’inciter les élèves à la recherche et de développer le travail indépendant et interdisciplinaire.

L’exemple merschois

Or, on n’a même pas besoin d’aller voir à l’étranger pour mesurer l’effet positif de l’installation du travail personnel sur une communauté scolaire et plus spécialement sur sa bibliothèque. Malheureusement, même si entre-temps on pourrait remplir des bibliothèques entières avec ce qui a été dit et écrit sur ce projet, seulement très peu de gens se sont donnés la peine de visiter le Lycée Ermesinde (Lem) à Mersch, où le concept de travail personnel existe depuis quatre ans sous le nom de mémoire personnel ou collectif.

Professeurs et responsables de l’ancien « Neie Lycée » insistent que leur conception du travail personnel ne serait pas exportable n’importe où à cause des conditions et moyens extraordinaires dont profitent leurs élèves, mais ils se sont quand même montrés assez déçus du fait « qu’aucun membre du Men n’ait contacté le lycée pour avoir des informations relatives à la mise en place d’un travail personnel dans notre établissement ». Vu que le Lycée Ermesinde est conçu comme projet-pilote, cela paraît en effet assez incompréhensible.

Jean-Marie Reding dit avoir « presque pleuré de joie » quand on lui parlait pour la première fois des conditions au Lem, et il n’est certainement pas le seul à envier Yvan Staus, le bibliothécaire du lycée, pour son lieu de travail. « Il est vrai que notre lycée accorde une plus grande importance à la bibliothèque que d’autres établissements », dit ce dernier.

Le visiteur s’en aperçoit dès son entrée dans cette grande salle lumineuse et accueillante où il règne un va-et-vient constant de petits groupes d’élèves. Ici, pas d’atmosphère de camp de détention ou de cave sombre et moisie. Tout cela concourt à « enlever l’appréhension aux élèves », comme l’explique Reding : « C’est un facteur élémentaire. On devrait faire visiter la bibliothèque à toutes les classes pendant la première semaine des cours pour leur montrer qu’on ne mord pas ». Voilà pourquoi le bon fonctionnement d’une bibliothèque scolaire ne dépend pas seulement du directeur et du bibliothécaire, mais aussi des professeurs. « Dans le lycée où je travaillais avant, il y avait certains professeurs qui venaient avec leurs classes et d’autres pas », dit Staus. « Ici, la plupart des professeurs sont jeunes, ils n’ont jamais travaillé autrement ».

Un autre facteur qui rend le travail d’Yvan Staus plus agréable, c’est son budget, qu’il décrit avec un petit sourire comme « assez large et largement assez ». Cela lui permet de commander des bouquins dont les élèves ont besoin pour leur mémoire, processus absolument inconcevable dans d’autres lycées. Ainsi arrive-t-il que la bibliothèque nationale doit refuser des prêts à des lycéens mineurs, qui venaient à elle pour la simple raison qu’ils ne savaient même pas que leur établissement disposait d’une bibliothèque.

A Mersch, les élèves sont habitués au travail en bibliothèque dès la classe de septième, et dans le cadre du travail sur leur mémoire, ils apprennent comment trouver un livre, établir une bibliographie ou encore citer correctement. Aussi, Jean-Marie Reding est-il convaincu que « les élèves du Lycée Ermesinde sauront mieux se débrouiller à l’université. Dans quelques années, quand on fera des études sur la réussite universitaire, ils seront sûrement très en avance ». Naturellement, il salue l’installation du travail personnel dans toutes les écoles, puisqu’il faut apprendre aux élèves « qu’il faut toujours copier quelque part ».

Pourtant, même à Mersch tout n’est pas pour le mieux dans le meilleur des mondes. Si l’expérience a montré une chose, c’est que le travail personnel n’est pas au goût de tous les élèves. « Certains n’auraient même pas besoin d’un directeur de mémoire, alors que pour d’autres c’est une charge immense », rapporte Chantal Mitsch, éducatrice graduée au Lem. Si le travail personnel devient un jour obligatoire dans tous les lycées (jusque-là, rien n’est décidé), on n’aura donc pas que des futurs grands chercheurs, mais au moins tous les élèves sauront que leur lycée possède une bibliothèque. A l’heure actuelle, ce serait déjà un premier succès.


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