La crise syrienne est loin de susciter le même engouement que les révolutions en Tunisie ou en Egypte. Et pour cause, car les enjeux dépassent de loin les aspirations révolutionnaires.
Commenter des évènements qui se déroulent dans un pays où l’on ne se trouve pas et qui se situe à plusieurs milliers de kilomètres est un exercice périlleux. En principe, mieux vaudrait s’abstenir de tout commentaire. Toutefois, la crise syrienne soulève un certain nombre de questions. Elle s’avère en effet beaucoup plus complexe à déchiffrer que les révolutions en Tunisie ou en Egypte. On l’aura constaté notamment par rapport aux engouements – surtout de la gauche, qu’elle soit arabe ou européenne – en faveur du renversement surprenant de Ben Ali à Tunis et de Moubarak au Caire. Si ces deux révolutions ne sont pas entièrement comparables, à cause notamment du poids géostratégique différent des deux pays ainsi que de la structure des pouvoirs, la gauche, dans son ensemble et son hétérogénéité, a soutenu les soulèvements populaires sans états d’âme.
Cela est devenu plus délicat lorsque la révolte a atteint la Libye : il ne fallait pas être un « anti-impérialiste » primaire pour se méfier du revirement de l’attitude des capitales occidentales. Autant étaient-elles prises de court pour la Tunisie et l’Egypte, les saluant alors qu’il n’était plus possible de faire marche arrière, autant se sont-elles montrées très interventionnistes contre al-Gaddafi, en précipitant sa chute militairement. Alors que Paris envoya son armée en Libye, concernant la Tunisie, le gouvernement français avait un temps envisagé, au début de la révolution, d’envoyer du renfort (le « savoir-faire français » de Michèle Alliot-Marie)… au despote déchu ! Parallèlement, les capitales occidentales ont soutenu la répression des révoltes dans les pays du Golfe, comme au Bahreïn.
Concernant la Syrie, comment s’y retrouver ? Dans un excellent article du Monde diplomatique de ce mois, Nicolas Dot-Pouillard, chercheur à l’Institut français du Proche-Orient à Beyrouth, analyse les déchirements des gauches arabes. Le problème, c’est que cette crise est bien plus qu’un bras de fer entre « le peuple » et « le dictateur » Bachar al-Assad. C’est une guerre par procuration, entre puissances mondiales et régionales. Les Etats-Unis et l’Union européenne d’un côté, la Russie et la Chine de l’autre. Les pays du Golfe, dont l’Etat comprador qu’est le Qatar, contre l’Iran. Sans oublier Israël, dont on ne sait vraiment quel est son intérêt (remplacer un ennemi qui a l’avantage d’être stable et prévisible, par un nouvel interlocuteur chaotique ?). Par ailleurs, l’ingérence de « rebelles » étrangers à la Syrie ôte fortement son caractère populaire et révolutionnaire au soulèvement contre le régime baasiste.
Et l’on ressent ce malaise : les gauches européennes peinent à se prononcer. Certaines, dans la mouvance primairement anti-impérialiste, vont jusqu’à défendre le régime baasiste, étant donné qu’il fait front à l’Occident. Par contre, parmi les gauches appelant de leurs voeux la chute du régime, rares sont celles qui vont jusqu’à soutenir les oppositions « officielles », tant les ficelles sont grosses. Face à ce flou, il n’est donc pas étonnant que les gauches arabes, prises d’un côté entre les aspirations populaires en faveur de changements politiques et sociaux et de l’autre entre les ingérences de puissances étrangères et de groupements islamistes, n’adoptent pas, dans leur majorité, de position tranchée. Et quelle que sera l’issue – chute du régime ou son maintien – les perspectives pour le monde arabe ne sont pas réjouissantes.