ENSEIGNEMENT PRIMAIRE: Y a-t-il un pilote dans le projet?

A défaut de réformer fondamentalement, l’enseignement luxembourgeois s’adonne à la mode des projets-pilotes. Mais ce foisonnement peut être source de discorde. Comme dans la capitale.

La réunion devrait avoir lieu mardi prochain. Viviane Loschetter, échevine verte en charge de l’éducation dans la capitale, a prévu une entrevue avec les responsables du Comité de cogestion des enseignants de la ville de Luxembourg (Cocoge) et ceux du Centre d’animation pédagogique et éducatif (Capel). Après des semaines de rupture de dialogue, le Cocoge pourrait bien enfin en avoir le coeur net quant à l’avenir de son projet-pilote d’école à journée continue, „Ganzdagsschoul“.

Pour rappel: alors que la coalition DP-CSV était encore au pouvoir, on s’était mis d’accord avec le Cocoge pour que celui-ci développe un projet-pilote d’une école de quartier fonctionnant selon le modèle de la journée continue. Toutefois, les élections communales d’octobre 2005 frappaient à la porte, et il fut donc convenu d’attendre le résultat de ces dernières et la nouvelle majorité qui s’en dégagerait pour concrétiser le projet. Le CSV, alors en charge de l’éducation, se sentait pousser des ailes et n’envisageait pas de se voir reléguer sur les bancs de l’opposition. C’est pourtant ce qui arriva et les Verts remplacèrent le partenaire junior des libéraux. Par conséquent, c’est Viviane Loschetter qui succéda à Martine Stein-Merges au poste d’échevine à l’éducation. Rien de dramatique a priori. Au contraire, l’enracinement des Verts dans le milieu enseignant est important et il laissait présager une coopération fructueuse.

Coup de semonce

Le réveil fut violent. Invitée à une émission télévisée au printemps, la députée-échevine Viviane Loschetter annonça son désir d’enterrer le projet-pilote „Ganzdagsschoul“. Le Cocoge tomba alors des nues, affirmant ne jamais avoir été averti de ce changement de cap. Parallèlement, Loschetter laissa entendre qu’un autre projet, dénommé „Eis Schoul“ et proposé par le Groupe luxembourgeois éducation nouvelle (Glen), recueillait ses faveurs. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, cette déclaration ne fit pas sauter de joie les responsables du Glen. Car si la déclaration de Viviane Loschetter de vouloir laisser tomber le projet du Cocoge avait un caractère unilatéral, le Glen n’avait à ce moment jamais encore rencontré sa nouvelle supportrice. Et cette nouvelle donne opposa tout d’un coup deux groupes, le Cocoge et le Glen, qui n’ont jamais souhaité une telle situation. Car le plus cocasse, c’est que les deux projets ne peuvent pas véritablement être mis en concurrence. Pour une bonne raison: le projet-pilote du Glen, bien qu’il concerne l’enseignement primaire, ne dépend pas de l’autorité communale, mais du ministère de l’éducation nationale (MEN). La ville de Luxembourg est concernée dans la mesure où le bâtiment se situera sur son territoire et qu’elle devra probablement prendre en charge le transport scolaire et que Viviane Loschetter a émis le souhait que cette école accueille principalement des enfants de la capitale. Pour l’instant toutefois, un groupe de travail ministériel a été mis en place afin de concrétiser le projet.

Pas d’accord mais pas concurrents

Les deux projets sont donc distincts et ne s’excluent pas l’un l’autre. Ce qui n’empêche qu’ils se différencient dans leur méthode et que des désaccords concernant l’approche existent entre le Cocoge et le Glen (voir woxx 858). Ainsi, le projet „Ganzdagsschoul“ tient à inscrire l’école dans la vie de quartier. Le Cocoge voit en effet d’un mauvais oeil le „tourisme scolaire“, comme le définit son président Marc Molitor. Ce sport a longtemps été pratiqué par des habitants de quartiers sensibles désireux de placer leur têtes blondes dans des établissements primaires plus tranquilles. Ainsi, le Cocoge envisage d’installer la „Ganzdagsschoul“ dans un des quartiers plus populaires du sud de la ville tels que la Gare, Bonnevoie ou Gasperich.

Le projet „Eis Schoul“, en tant qu’école primaire étatique, devrait accueillir des élèves dispersés géographiquement. A ce sujet, Marc Molitor s’interroge sur les critères de sélection des élèves, tout comme sa collègue Monique Adam, présidente du SEW et membre elle aussi du Cocoge, dans un entretien accordé au woxx en juillet de cette année: „Quels parents pourront envoyer leurs enfants dans une telle école? Ce sont ceux qui ont les moyens de les emmener le matin et de venir les chercher le soir.“

Second point de friction entre les deux projets: le Cocoge reproche au projet „Eis Schoul“ d’ignorer la loi scolaire de 1912 et par exemple de ne pas se tenir au plan d’étude qui y est inscrit. En troisième lieu, Marc Molitor craint également un „problème de politique de personnel“. Si „Eis Schoul“ devait accueillir, comme cela est actuellement prévu, 120 élèves de la capitale, que faire des enseignants qui garantissaient jusqu’alors leur enseignement? L’école „Eis Schoul“ fera-t-elle appel à des enseignants autres que celles et ceux qui officient dans la capitale? Aloyse Ramponi, directeur du Capel se montre pour sa part très sévère à l’égard du projet du Glen: „Je trouve que ce projet est vraiment culotté. Ainsi, les quartiers de la capitale vont encore plus se vider. Je considère ‚Eis Schoul‘ comme une école privée d’Etat, une sorte de préparation à l’affaiblissement de l’école publique“. Par ailleurs, Ramponi est agacé par l’accumulation de projets-pilotes. Il leur préférerait une réforme fondamentale de la formation du personnel enseignant et éducateur et ajoute que „sur ce point, le Luxembourg a lamentablement échoué“. En fait, avec une formation universitaire, ils auraient les prétentions salariales qui vont avec. Finalement, le directeur du Capel trouve „bizarre qu’un groupe entreprenne des projets sans avoir auparavant consulté les autres enseignants et éducateurs“.

Le GLEN trop théorique?

Autre grief formulé à l’encontre du projet „Eis Schoul“: une approche trop théorique et pas assez détaillée. Ce reproche est toutefois à relativiser dans la mesure où le MEN vient justement de mettre en place un groupe de travail censé mettre le projet en musique. Mais peut-on prétendre que le Glen improvise aveuglément? Il puise en effet le gros de son inspiration auprès de la „Bielefelder Laborschule“ qui vit le jour dans les années 70, sous la direction du célèbre pédagogue et publiciste Hartmut von Hentig, professeur à l’université de Bielefeld.

Ainsi, le projet-pilote „Eis Schoul“ se définit, dans son papier conceptuel, de la manière suivante: „‚Eis Schoul‘ servira d’exemple pour montrer ce qui peut être réalisé au sein de l’école publique. Elle développera d’un côté de nouvelles idées d’actions et de changement des pratiques pédagogiques, d’un autre côté elle publiera ces idées et expériences afin de les discuter et de les échanger avec un plus grand public actif dans les domaines de l’éducation et de la formation. Par ce biais l’école-pilote forgera sa place dans l’école publique“.

Le projet du GLEN montre plusieurs particularités. La journée qui s’étend de 7.30 à 16 heures pour les activités scolaires ne sera plus segmentée en leçons de 50 minutes, mais en plusieurs „moments“: discussion matinale, activités en groupe, travail individuel, ateliers, présentations scéniques ou séances du parlement d’élèves. „Eis Schoul“ veut également promouvoir un „équilibre entre disciplines scolaires et entre compétences et savoirs cognitifs, affectifs, sociaux, créatifs, corporels“.

Le projet-pilote „Ganzdagsschoul“ du Cocoge, s’il se veut moins révolutionnaire, n’est pas non plus en reste au niveau de l’innovation, à la différence près qu’il s’inscrit dans le cadre de la loi scolaire. Le projet devrait dans un premier temps s’implanter dans un quartier et laisserait aux parents d’élèves le choix entre l’horaire traditionnel et la journée continue. „Ainsi, nous pourrons ensuite comparer et évaluer les deux modèles“, explique Marc Molitor.

Dans son introduction, le texte présentant le projet part du constat suivant: „De plus en plus souvent les enseignants constatent qu’un grand nombre de leurs élèves n’arrivent pas à suivre le programme. Ce sont souvent des enfants qui ne bénéficient pas d’un cadre bien structuré à la maison, qui n’ont pas d’endroit tranquille pour faire leurs devoirs et qui passent une grande partie de leurs temps libre devant la télévision ou avec des jeux vidéo. Ces élèves devraient bénéficier d’un encadrement plus structuré et d’une aide individuelle par moments“.

Par conséquent, la „Ganzdagsschoul“ segmente les journées de l’école primaire en deux parties: les cours du matin de 8:20 heures à midi et les cours-projet de 15 à 17 heures où enseignants et éducateurs travaillent de concert. De manière facultative, l’école se propose d’accueillir les élèves dès 7:30 heures (accueil et petit-déjeuner) ainsi que de 17 à 18:30 avec goûter.

Une telle offre peut évidemment remettre en question une grande partie des activités du Capel, qui gère des foyers scolaires dans toute la ville et emploie 180 personnes. „Nous avions récemment une entrevue avec le Comité de cogestion. Les discussions étaient constructives même si nous avions des divergences“, dit Aloyse Ramponi. Ramponi est certes moins sévère à l’égard du projet du Cocoge, mais avoue ne pas apprécier le concept „Ganzdagsschoul“, qui aurait le désavantage de „surscolariser la vie des enfants“. Un point cardinal des foyers scolaires gérés par le Capel consiste en effet à séparer visuellement la partie scolaire de la partie éducative.

Néanmoins, les débats au sujet de ces deux projets-pilotes dans la capitale ont déclenché au sein même du Capel un processus de remise en question de son fonctionnement et de sa nature. A défaut de mettre tout le monde d’accord, les questions scolaires ont tout de même le mérite de chambouler les certitudes. C’est déjà ça.


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