C’est à son siège luxembourgeois qu’Arcelor-Mittal a présenté ses résultats 2006. Mais l’univers dans lequel agissent les décideurs du groupe sidérurgique s’est résolument mondialisé.
Un „nouveau style de management“ au sein du groupe Arcelor-Mittal, c’est ce qu’ont dénoncé, début février, les syndicats OGBL et LCGB. Un nouveau style de communication, c’est ce qu’ont constaté les journalistes présents lors de la présentation des résultats financiers 2006 du groupe. Les un-e-s se sont délecté-e-s des samoussas, ces crêpes indiennes fourrées aux légumes, pointe d’exotisme d’un buffet par ailleurs européen. D’autres se sont emporté-e-s contre le fait que les dossiers de presse n’étaient disponibles qu’en anglais et … en espagnol. Même si le siège du groupe demeure au coeur de l’Europe – 19, avenue de la Liberté – , la mondialisation poursuit sa marche implacable, pour le meilleur et pour le pire.
„Avant, les structures étaient simples et les chemins courts. Nous savions à qui nous adresser pour résoudre des problèmes“, explique Alain Kinn, responsable de la sidérurgie chez l’OGBL, interrogé par le woxx. Désormais, certains postes, par exemple celui du chef de personnel national, ne sont plus occupés par des Luxembourgeois. De même, Roland Junck ne préside plus le comité mixte, dont la dernière réunion remonte à juin 2006. „Lorsqu’Arbed a fusionné pour former Arcelor, nous n’avons pas connu de tels problèmes“, affirme Alain Kinn. En plus des changements de personnes, les responsabilités ne seraient plus clairement définies, rendant difficiles le traitement négocié de problèmes. „Chaque site a désormais son responsable du personnel“, rapporte le syndicaliste. „Celui-ci reçoit nos doléances, mais n’a aucun pouvoir de décision.“ Une entrevue avec des responsables de haut niveau est prévue. „Jusqu’ici, ils ne m’ont pas semblé prêts au dialogue social. Je suis très réservé pour l’avenir“, dit Kinn.
Tout change
Pessimisme des uns, optimisme des autres. „Nous nous attendons à une année 2007 nettement meilleure que 2006“, a affirmé Aditya Mittal, fils de Lakshmi Mittal et directeur financier du groupe lors de la présentation des résultats. Loin des soucis sur le dialogue social dans les entreprises, les dirigeants se préoccupent de la consolidation du secteur de l’acier à l’échelle mondiale. Lakshmi Mittal, le PDG du groupe, s’est félicité de ce que d’autres grandes fusions sont en train de se faire, conduisant à plus de stabilité dans cette industrie traditionnellement exposée à de fortes variations cycliques.
Plus de concentration peut aussi signifier moins de concurrence. Ainsi, en raison du risque de contrôle du marché du fer-blanc américain, la justice états-unienne vient d’obliger le groupe fusionné Arcelor-Mittal de mettre en vente son usine de Sparrows Point. Les dirigeants ne paraissent pas trop affectés par cette décision. En effet, cela permettra au groupe de conserver la société Dofasco, conquise par Arcelor lors d’une OPA hostile en janvier 2006. Quand Lakshmi Mittal avait lancé son OPA contre Arcelor – considérée comme hostile jusqu’au tout dernier moment – il avait reçu le support de Thyssen-Krupp en échange de la promesse de lui revendre Dofasco en cas de succès. Promesse qui s’est révélée intenable à cause d’une habile manoeuvre juridique d’Arcelor au cours de la bataille contre Mittal … et dont désormais les deux partenaires profitent.
Quand les requins s’entredévorent, les petits poissons trinquent. Selon Lakshmi Mittal, „l’intégration organisationnelle et la mise en place de synergies progressent très bien“. Synergies, cela signifie en général fermetures de sites et baisses d’effectifs. D’un côté le groupe distribuera 2,4 milliards de dollars en dividendes – ce qui renflouera le trésor de guerre de la famille Mittal, actionnaire à 45 pour cent. De l’autre, le PDG a définitivement tranché le sort du dernier haut-fourneau de Liège: il sera éteint en 2009. Notons qu’un programme de reconversion est mis en place par les autorités locales, avec une collaboration active d’Arcelor-Mittal.
Dénoncer le nouveau groupe comme viscéralement anti-social semble prématuré. Ainsi, Lakshmi Mittal s’est engagé à respecter l'“International framework agreement“ (IFA) signé par Arcelor en 2005. Cet accord-cadre prévoit le respect des conventions de l’Organisation internationale du travail sur la liberté syndicale, la négociation collective, la non-discrimination et l’interdiction du travail des enfants ou du travail forcé. L’IFA constitue un pas en avant pour l’émancipation des travailleurs dans un contexte de mondialisation, mais est très éloigné des préoccupations directes des syndicats luxembourgeois. Par exemple ceux-ci demandent depuis des mois une réunion tripartite sidérurgique. Cette structure de concertation spécifique n’est évidemment pas mentionnée dans l’IFA, et Michel Wurth, membre luxembourgeois du comité directeur d’Arcelor-Mittal, a confié au Wort que pour le moment, il ne voyait pas la nécessité de convoquer une tripartite.
Méchant ou gentil?
Enfin, les conséquences du contrôle du groupe par un actionnaire familial sont ambiguës. D’un côté, des cavaliers seuls de Lakshmi Mittal, comme le chèque de deux millions de livres au bénéfice du parti de Tony Blair, risquent de retomber sur l’image du groupe. La famille a l’intention de rester à la barre d’Arcelor-Mittel: Aditya Mittal est tout désigné comme successeur de son père en tant que patron du groupe. D’un autre côté, la famille fait preuve d’un certain souci d’équilibre: le PDG a réaffirmé qu’il ne souhaitait pas cumuler son poste avec celui de président du conseil d’administration, lorsque Joseph Kinsch se retirera. Enfin, à une époque de „shareholder governance“, le contrôle du groupe par un actionnaire familial n’est pas forcément une mauvaise chose du point de vue des salarié-e-s. Contrairement à des sociétés dirigées par des managers au service d’actionnaires recherchant une rentabilité à court terme, Arcelor-Mittal développera peut-être une véritable stratégie industrielle à long terme.