La question de savoir si oui ou non le premier ministre Jean-Claude Juncker devrait présenter ses excuses à la communauté juive pour la collaboration de la Commission administrative dans la déportation révèle un malaise profond dans l’historiographie luxembourgeoise.
« Je suis tout de même déçu. » Tel est le sentiment de Serge Hoffmann, ancien conservateur aux Archives nationales, qui, dans une lettre ouverte au Tageblatt de l’automne dernier, avait demandé à Jean-Claude Juncker s’il n’était pas opportun de se rallier à son collègue belge Elio di Rupo et de présenter des excuses à la communauté juive pour les faits qui se sont déroulés entre mai et décembre 1940. A cette époque, la Commission administrative gérait le pays en l’absence du gouvernement régulier qui était en exil. Par la suite, le député socialiste Ben Fayot avait adressé une question parlementaire à Juncker. Dans sa réponse, le premier ministre se montre plutôt réticent : « Il subsiste en effet un certain flou concernant les événements de l’époque », déplore-t-il. Et d’annoncer qu’il chargera lui-même des spécialistes en histoire contemporaine de « porter un regard critique » sur cette sombre période.
Pour Serge Hoffmann, le geste du premier ministre ne peut vouloir dire qu’une chose : « Il essaie de gagner du temps », juge-t-il. Et de continuer : « Les documents des archives dont nous avons connaissance démontrent clairement qu’il y a eu collaboration. La Commission administrative a ordonné aux commissaires de district et aux maires de livrer les noms d’enfants et de familles juives. C’est ce qu’on appelle de la collaboration administrative, même si la commission ne pouvait rien savoir sur la solution finale, qui ne fut introduite qu’en 1942. Certes, des flous subsistent par exemple à propos de la question concernant la collaboration des forces de l’ordre. Les fonds qu’on trouve aux archives et qui nous ont été fournis par la police présentent tous des lacunes correspondant à cette période. »
Question prématurée
Alors que pour Serge Hoffmann tout comme pour l’historien Denis Scuto dans une carte blanche sur RTL, la question ne fait aucun doute, un autre historien, Vincent Artuso, qui vient d’obtenir son doctorat en histoire justement sur le sujet de la collaboration et dont le woxx publiera les bonnes feuilles à partir du numéro 1204, essaie de tempérer : « La question est prématurée. Pendant des décennies le mythe de la résistance des Luxembourgeois et de la seule légitimité du gouvernement en exil a persisté. Dans les faits, la Commission administrative lui a d’emblée disputé cette légitimité pour appliquer sa propre politique : la collaboration avec l’Allemagne nazie en contrepartie du maintien de la souveraineté luxembourgeoise. Et la Commission administrative est allée très loin dans cette collaboration, en appliquant les mesures antisémites nazies et en aidant le Gauleiter à recenser les juifs. Pourtant, certains points rendent la question plus complexe, notamment celui de l’émigration hors d’Europe de près de 1.200 Juifs sur les 2.000 qui se trouvaient encore au Luxembourg après l’invasion. Cette émigration, unique en son genre en Europe, a été organisée à la fois par la Commission administrative, le Consistoire israélite, le gouvernement en exil et le Gauleiter. Avant d’aborder les excuses, il faudrait donc se pencher sur certaines questions : qui était, à l’époque, le représentant légitime de l’Etat ? De quel manière et dans quel but l’administration luxembourgeoise a-t-elle collaboré aux persécutions ? »
De toutes ces considérations, il en ressort du moins une chose : le mythe de la résistance de tous les Luxembourgeois est à enterrer à tout jamais et un regard objectif sur cette époque est plus que nécessaire.