VOTE DES ÉTRANGERS: Ecueils surmontables

Le rapport du Cefis sur la participation des étrangers aux élections communales de 2011 revient sur le taux de 17 pour cent et en donne partiellement les raisons.

La participation est ouverte à tous, mais reste encore à la populariser.

Avant même que les experts du Cefis aient pu entamer la présentation de leur rapport, le ministre de l’Intérieur Jean-Marie Halsdorf a tenu à mettre en évidence les limites politiques de son action et à tirer hors de la ligne de mire ses services : « Je ne laisserai pas dire que c’est à cause des autorités communales que le taux de participation des étrangers n’a pas dépassé les 17 pour cent. » Pour le futur, il envisage peut-être de lever des restrictions sur la durée de la résidence – qui est de cinq ans pour le moment – en ce qui concerne la continuité de celle-ci. Mais si on prend en compte que, pour l’accès à la nationalité, la réforme de son désormais ex-collègue François Biltgen prévoit la même chose, cette petite ouverture est vite réduite à une simple formalité. Une vraie réforme et une véritable avancée en matière d’accès à la vie politique locale des étrangers serait par exemple l’inscription d’office de ceux-ci sur les listes électorales. Mais Halsdorf a trouvé une parade à cette vieille revendication du milieu associatif : la Constitution, qui selon lui interdirait un tel arrangement. Savait-il à ce moment qu’une des recommandations, et non la moindre, que les analystes du Cefis donneraient à l’issue de leur présentation, serait exactement celle-ci ? C’est probable – mais en tout cas, sous son mandat, cette avancée semble bien illusoire. Par contre, le ministre de l’Intérieur mise sur un outil que ce gouvernement semble chérir plutôt que tous les autres, surtout quand il s’agit de répondre à des situations difficiles et complexes : une bonne campagne de communication. Ainsi, il souhaite créer une campagne similaire à celle déjà mise en place pour sensibiliser le public aux problèmes de l’eau, avec même une mascotte, comme le fameux « Drëpsi » – le label remis aux communes oeuvrant exemplairement pour la propreté de leur eau potable. C’est donc par une manoeuvre tentant de décomplexifier la question que le ministre tente d’esquiver les problèmes que pose la participation des étrangers à la vie politique – une question aux multiples ressorts qui pourrait aussi réveiller des démons nationalistes. En tout cas, beaucoup trop brûlante un an avant des élections qui ne s’annoncent pas de très bon augure pour le parti du ministre, le CSV.

La directrice de l’Office luxembourgeois de l’accueil et de l’intégration, Christiane Martin, semble soutenir cette politique des tout petits pas. En tout cas, elle a tenu à faire valoir que cette étude n’était nullement une évaluation, un peu comme si personne ne voulait prendre la responsabilité du maigre résultat de la participation étrangère aux dernières élections communales. Même si, comme nous allons le voir encore, les raisons de ce semi-échec sont multiples et complexes.

Après le « Drëpsi », le « Wieli » ?

C’est Jean-Pierre Klein, le bourgmestre de Steinsel et premier vice-président du Syvicol, qui semble le plus avoir compris que la question participative doit être perçue dans une optique plus large : « Il nous faudrait une sensibilisation permanente à ces questions, et pas seulement des campagnes ponctuelles. La question de la participation des étrangers doit faire partie de leur intégration. C’est pourquoi, au niveau communal, je me prononce aussi pour une plus grande ouverture des commissions d’intégration et pour que celles-ci échangent plus avec les autres commissions. » En disant cela, il anticipait aussi sur une des recommandations des experts du Cefis – peut-être aussi parce que dans la classification de ces derniers, sa commune s’en tire plutôt bien.

Pour en venir aux chiffres : depuis 1999, les étrangers peuvent participer aux élections communales. Leur taux de participation a évolué depuis de 12 % à 15 % aux élections de 2005 (qui étaient les premières à faire une ouverture aux non-communautaires) pour atteindre les fameux 17 % en 2011. Mais il faut souligner en même temps que le poids électoral des étrangers a évolué en même proportion. Ce qui fait qu’on peut dire que malgré la multitude d’efforts entrepris avant les élections en 2011, le résultat n’a pas vraiment fait avancer la cause. Si on regarde les chiffres par nationalité, ce sont les Néerlandais qui participent le plus souvent aux élections communales (26 %), probablement parce que dans leur pays d’origine, cette même participation est devenue depuis longtemps une banalité. Ils sont suivis par les Italiens, les Autrichiens, les Belges et les Portugais. Du côté des non-communautaires, on a droit à une petite surprise, car ce sont les Monténégrins qui ont le plus haut taux – 25 % -, un chiffre que Nenad Dubajic du Cefis attribue à leur forte motivation d’intégration et à leur tissu associatif exceptionnellement en forme. Pourtant, les Balkans restent champions de la participation (18 % pour les Bosniaques, 17 % pour les « Yougoslaves » divers, 12 % pour les Serbes). Tandis qu’à la fin de la statistique on retrouve les Russes (5 %), les Kosovars (4 %) et les Chinois (4 %).

Lettres personnalisées et sensibilisation par les employés sont les clés du succès.

Côté élections passives, c’est-à-dire des étrangers qui se sont fait élire dans certaines communes, il reste aussi du pain sur la planche : « En moyenne, il faut compter qu’un candidat étranger a cinq fois plus de difficultés à se faire élire qu’un candidat luxembourgeois », explique Nenad Dubajic. Un autre problème est posé par les commissions communales, où les étrangers restent confinés dans les commissions d’intégration et ne présentent donc pas une visibilité pour le public – étranger ou luxembourgeois. En 2011, 236 candidats d’origine étrangère se sont présentés sur les listes, dont onze non-communautaires (aucun n’a été élu finalement). Parmi les nationalités qui se sont présentées, on trouve les Portugais (69 candidats) en tête du peloton, suivis par les Italiens et les Allemands. Par contre, si on regarde les résultats des candidats élus, la tendance se renverse et on retrouve les Allemands en tête avec cinq élus, puis les Français et les Néerlandais – ex-aequo avec les Portugais – avec trois élus et les Italiens, les Autrichiens et les Belges avec chacun un seul élu. Une autre façon intéressante de voir ces chiffres est de les projeter sur les partis : ici, les Verts ont presque doublé leur quota d’étrangers, passant de 24 en 2005 à 60 en 2001, puis viennent le LSAP (43), le DP (37), le CSV (19, le seul parti avec l’ADR à avoir baissé son quota depuis 2005), déi Lénk (14), le KPL (14) et l’ADR, qui passe de 16 en 2005 à 6 en 2011.

En un troisième volet, le Cefis a analysé et évalué les actions entreprises par les différentes communes. Si la plupart d’entre elles ont organisé des journées nationales d’inscription, les lettres personnalisées et la sensibilisation par les employés communaux ont également la cote. Sur les 116 communes du Luxembourg, 24 ont entrepris trois actions de sensibilisation, une est allée même jusqu’à en faire 15 et sept n’ont fait aucun effort dans cette matière. Parmi les facteurs qui ont recueilli le plus de succès, le Cefis a pu en identifier deux : les lettres personnalisées et la sensibilisation par les employés. A ceci, il faut pourtant, selon le Cefis, ajouter deux bémols : primo, si les actions ne sont pas bien coordonnées, elles produisent un effet négatif, et deuxio ce sont moins les actions, ni leur nombre, ni leur qualité, qui déterminent le succès des communes, mais leur structure sociale et démographique. En d’autres termes, plus une commune est peuplée et comporte donc de couches sociales différentes, moins la participation des étrangers aux élections communales est grande. Ce qui fait que les communes les plus couronnées de succès se situent dans le Nord du pays, ce qui est un peu inattendu face aux clichés qu’on a en tête en pensant à cette région. Tandis que le Sud, en raison de son taux migratoire et de chômage, a plus de problèmes, malgré la multitude des actions entreprises pour populariser le vote étranger. La même analyse vaut aussi pour le Centre d’ailleurs. En tout, le Cefis a identifié 16 communes qui devraient constituer une priorité pour les actions et 26 où il faudrait recommencer à zéro, tant leurs résultats sont déplorables, tout autant en ce qui concerne les actions communales que les taux de participation. C’est pourquoi les analystes émettent plusieurs recommandations, comme la sensibilisation aux droits politiques dès la signature du fameux « contrat d’intégration » et surtout de revoir et de prolonger le calendrier d’inscription de façon à ce que celui-ci coïncide avec les campagnes politiques – une mesure que le ministre Halsdorf ne semble pourtant pas envisager.

Mais de toute façon, si la campagne pour élargir le droit de vote à tous les étrangers pour toutes les élections, menée par une large et parfois curieuse équipe de tous les bords, réussit, tout ce que nous venons de lire ici appartiendra au passé.

Le rapport complet peut être téléchargé sous www.cefis.lu


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