ENSEIGNEMENT UNIVERSITAIRE OUVERT: Révolution ou poudre aux yeux ?

Les MOOC* (Massive Open Online Course) commencent à essaimer dans le monde entier, en provenance des Etats-Unis. Ces cours de niveau universitaire en ligne, considérés par beaucoup comme une démocratisation du savoir et plébiscités par plus de 20 millions d’inscrits à ce jour, ne sont pourtant pas exempts de critiques.

Un enseignement universitaire plus ouvert.

« Finalement, on fait du neuf avec du vieux », confie Chrysta Pelissier, maître de conférences à l’Institut universitaire de technologie (IUT) de Béziers, coanimatrice du MOOC « Ville durable : être acteur du changement » (environ 5.000 participants). Forte de quinze années d’expérience dans le domaine de l’apprentissage à distance, elle explique que la plate-forme technique utilisée à cet effet depuis plusieurs années par les universités a des fonctionnalités plus étendues que celle choisie par le ministère français de l’Enseignement supérieur et de la Recherche pour lancer son site « France université numérique ». Mais Chrysta Pelissier tempère rapidement cette critique en ajoutant que même si « techniquement ça n’apporte rien, ça permet à des gens de se sensibiliser à une thématique et de se cultiver à titre personnel ». De fait, la clef du succès des MOOC semble bien être la possibilité qui est donnée à chacun, quel que soit son lieu de résidence, sa situation professionnelle, son niveau d’études voire son handicap, de s’inscrire pour participer à un cours universitaire en ligne sur un sujet de son choix – et cela gratuitement, même si certaines plates-formes peuvent faire payer une certification officielle ou un tutorat personnalisé.

Un enthousiasme qu’on peut sentir chez Melcky Alcenat, licencié en tourisme et patrimoine de l’Université d’Etat d’Haïti (UEH) et inscrit au MOOC « Ville durable », lorsqu’il s’exclame : « C’est une révolution dans le système éducatif mondial ! » Pour lui, cette offre « répond à une absence de formation au niveau de [son] université en ce domaine, ainsi qu’à la non-existence de ressources (humaines, matérielles, financières) de l’UEH pour développer et offrir aux étudiants et professeurs une si belle formation ». Jamal Khardi, journaliste marocain établi en République démocratique du Congo, déplore lui que les pays du Sud accusent un retard certain en matière de protection de l’environnement ; il s’est donc inscrit à ce même cours, motivé « par l’acquisition de plus d’informations pour pouvoir sensibiliser [ses] concitoyens » à la thématique du développement durable. Quant à Hind Jebbar, étudiante en gestion intégrée de l’environnement urbain à la faculté des sciences de Meknès (Maroc), le MOOC « va [lui] permettre de compléter [ses] cours dans lesquels la notion de développement durable est trop peu abordée ».

Comment enseigner à tant de participants ?

Cette ouverture massive des cours universitaires n’est bien sûr pas sans générer certaines critiques. Dans une analyse parue fin 2013 dans la « Revue internationale des technologies en pédagogie universitaire », Thierry Karsenti, de l’université de Montréal, souligne plusieurs difficultés : comment enseigner à des supergroupes d’étudiants ? comment évaluer chacun et quelle est la valeur réelle d’une attestation de réussite ? Il s’interroge aussi sur le modèle économique que d’aucuns, comme Evgeny Morozov, auteur du livre « To Save Everything, Click Here », considèrent comme dicté par une politique néolibérale plutôt qu’une révolution technologique. Ce phénomène pourrait effectivement s’inscrire dans une logique de restriction du budget consacré à l’enseignement, par la mutualisation des ressources de plusieurs institutions. Il pourrait aussi préfigurer une mise en concurrence accrue des établissements et une privatisation au bénéfice d’opérateurs commerciaux n’ayant rien à voir à l’origine avec l’enseignement supérieur.

Lorsqu’on s’y plonge, un MOOC n’a effectivement rien de révolutionnaire. La partie structurée du cours est en général composée de vidéos et de questionnaires de validation, qu’il faut réussir afin de se voir attribuer une attestation finale. Cette partie, somme toute un cours à distance plutôt classique, est doublée d’un forum de discussion en ligne qui encourage les étudiants à partager leur savoir et leurs idées. C’est cette fonctionnalité qui constitue l’indéniable atout des MOOC. La première impression est cependant celle d’un certain fouillis, d’où il faut savoir extraire les contributions intéressantes. Il est d’abord nécessaire de franchir l’obstacle de la masse d’informations, les messages étant nombreux et en général assez anodins ; mais certaines pépites peuvent aussi se cacher derrière des titres à l’orthographe ou à la syntaxe défaillante, car tous les niveaux d’études sont en général bienvenus – une belle leçon d’humilité parfois. Chrysta Pelissier rappelle à ce sujet que l’objectif est de « sensibiliser une population qui a envie de reprendre des études, d’où l’absence de prérequis », en tout cas pour les MOOC collaboratifs (cMOOC), que certains opposent aux MOOC plus sélectifs et plus pointus (xMOOC).

La diversité des parcours scolaires explique aussi un ressenti différent de l’enseignement dispensé. Pour le MOOC « Ville durable », plutôt représentatif, l’effort hebdomadaire estimé est de trois heures : une personne ayant réussi des études universitaires récemment n’y consacrera peut-être que deux heures alors que, à en croire certains messages dans le forum, certains doivent y passer plus d’une journée. Les questions de cours peuvent aussi s’avérer problématiques pour certains, lorsqu’elles ne sont pas simplement liées à ce qui est expliqué dans les vidéos. Par exemple, l’analyse d’un document expliquant la réglementation thermique française – pour en tirer le nombre d’énergies renouvelables obligatoires lors d’une nouvelle construction – semble avoir déconcerté un certain nombre de participants.

Avec plusieurs milliers, voire plusieurs dizaines de milliers d’inscrits par cours, l’évaluation finale pose également de nombreux problèmes. L’enseignant ne saurait se pencher sur chaque contribution. Si l’évaluation par les pairs, c’est-à-dire qu’un participant verra ses exercices corrigés par un ou plusieurs autres participants, semble être souvent évoquée, force est de constater qu’elle est rarement mise en oeuvre. C’est donc en général l’évaluation automatique à base de quiz en ligne qui est pratiquée. A cela s’ajoute le fait qu’il est difficile de prouver qu’une personne a effectué elle-même l’ensemble des tâches conduisant à l’attestation de réussite. Pour pallier ce problème, certaines universités nord-américaines ont mis en place des systèmes de validation par examen « physique » ; mais cette solution rompt la dynamique de gratuité et d’ouverture à tous. Difficile donc pour une université ou un employeur de donner une valeur aussi importante à l’apprentissage par un MOOC que par un diplôme traditionnel.

Cet aspect ne dérange pas Hind Jebbar, qui confie : « C’est vrai que les attestations de réussite n’ont pas la même valeur qu’un diplôme, mais elles montrent quand même qu’on a la volonté d’apprendre et de rester à jour. » Optimiste aussi, Jamal Khardi remarque que « c’est la compétence et seulement la compétence qui prendra le dessus dans un monde de plus en plus connecté ». Une opinion que partage Melcky Alcenat : lui souhaite valoriser les connaissances acquises au sein de son association communautaire de protection de l’environnement, l’« Association rive artibonitienne pour le développement ». Certaines universités ont commencé à introduire des certifications optionnelles et payantes pour celles et ceux qui souhaitent ou ont besoin de valider officiellement leur participation, se rapprochant ainsi d’un cursus classique.

Un point noir : le taux d’abandon

Le point noir sur lequel tous s’accordent reste cependant le taux d’abandon. Les études sur tous types de MOOC, y compris les plus « sélectifs », s’entendent sur un chiffre ne dépassant pas en moyenne les cinq pour cent d’inscrits qui mènent à bien l’ensemble de la formation. Chrysta Pelissier en est bien consciente : « Ce qui m’intéresse, c’est le nombre de personnes qui finissent. » Ces abandons nombreux sont en général imputés au manque de temps ou de motivation, mais aussi au fait que les prérequis universitaires pour suivre les cours sont en général assez souples, forçant souvent l’abandon de celles et ceux ayant un bagage scolaire moins élevé.

Un aspect des MOOC à ne pas négliger est également le prestige qu’ils peuvent conférer à l’institution qui les propose, au risque d’accentuer la fracture entre universités, dont certaines pourraient ne pas avoir les moyens de se lancer dans l’aventure. Chrysta Pelissier admet volontiers qu’un des objectifs poursuivis par l’IUT de Béziers était de se faire connaître grâce à une « internationalisation » de diplômes déjà existants. Mais cet objectif a été atteint au prix d’un travail important en sus de l’enseignement universitaire classique : pas moins de dix personnes, dont quatre à temps plein, ont travaillé pendant presque six mois à la conception du MOOC « Ville durable ». Entre autres, il a fallu mobiliser des moyens conséquents, notamment audiovisuels – la dynamique impulsée par le projet « France université numérique » a permis cependant un certain soutien logistique.

Eric Tschirhart, vice-recteur académique de l’Université du Luxembourg, confirme que le coût de conception est un obstacle certain. Mais si aucun cours en ligne n’est encore prévu au grand-duché, c’est plutôt parce que « l’Université du Luxembourg n’est pas une université de masse : nous insistons sur la notion de tutorat, et les étudiants viennent chez nous pour ça. Lancer un MOOC serait mécaniquement vider les amphis ». Le professeur indique que les problèmes d’évaluation du travail fourni, évoqués plus haut, constituent une barrière à l’utilisation de ce type d’enseignement dans la formation initiale des étudiants. Il se dit cependant convaincu de l’intérêt de la formule pour la formation continue : « Un adulte qui a déjà travaillé, déjà étudié, qui connaît la valeur d’un diplôme, aura plus de chances de réussir cette expérience qu’un étudiant en formation initiale. »

Un enthousiasme palpable

Alors, les MOOC sont-ils une révolution ou un buzz ? Comme le souligne à raison Eric Tschirhart, ils « ne sont pas encore matures » ; mais leurs défauts sont maintenant bien connus et étudiés, et on peut dès lors espérer une évolution rapide. Certes, comme le constate Jamal Khardi, « les MOOC en langue française, allemande, espagnole ou autres ont tardé à voir le jour et ils ont beaucoup à rattraper ». Mais en fin de compte, c’est l’enthousiasme de leurs concepteurs et de leurs participants – même si ceux-ci sont finalement peu à mener l’expérience jusqu’au bout -, qui donne un début de réponse : peut-être pas une révolution, mais en tout cas une manière différente, plus ouverte et ludique de se plonger ou se replonger sérieusement dans des études universitaires.

* On rencontre parfois l’acronyme français Clom (cours en ligne ouvert et massif).

La plate-forme multilingue qui regroupe les différentes offres de MOOC en Europe est disponible à l’adresse http://openeducationeuropa.eu


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